Viol d’une fillette au Maroc: un verdict «laxiste» qui relance le débat sur la réforme du Code pénal

Le verdict de l’affaire d’une enfant de 11 ans violée collectivement et à répétition par trois hommes âgés de 25, 32 et 37 ans émeut le Maroc. Le tribunal les a condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans de prison, un jugement « laxiste » selon de nombreuses associations de défense des droits des femmes qui posent la question de l’intégration de la notion de pédocriminalité dans le droit marocain, alors qu’une réforme du Code pénal se prépare.

Tout commence avec une lettre ouverte. Dans un long texte adressé au ministre de la Justice, la sociologue et militante engagée pour la défense des droits des femmes et des mineurs, Soumaya Naaman Guessous, raconte l’histoire de S., 11 ans, originaire d’un petit village près de Tiflet, une ville située entre Rabat et Meknes.

Pendant plusieurs mois, S. est violée par trois voisins qui profitent de l’absence de ses parents pour l’agresser sexuellement. Son calvaire ne prend fin que lorsque l’un des trois hommes s’aperçoit qu’elle est enceinte. La rumeur se répand dans le marché du village et parvient jusqu’aux oreilles du père, qui l’emmène consulter un médecin. S. est en fait déjà enceinte de huit mois et accouche d’un garçon quelques semaines plus tard.

Suite à la plainte déposée par la famille, S. Se confie à la gendarmerie et identifie les trois hommes. Le géniteur du bébé sera confondu par les analyses ADN, et l’affaire confiée au tribunal de Rabat. Mais alors que la loi marocaine punit de dix à vingt ans de prison les viols commis sur une mineure de moins de 18 ans, et d’une réclusion pouvant aller jusqu’à 30 ans s’il y a « défloration » (perte de virginité), les juges retiennent des circonstances atténuantes aux trois hommes, notamment que « les peines encourues sont trop dures par rapport aux faits incriminés ».

« Ce n’est pas possible, on avait confiance en la justice de notre pays », s’insurge Amina Khalid, secrétaire générale de l’Institut national de solidarité avec les femmes (Insaf). Pour Ghizlaine Mamouni, présidente de l’association Kif Mama Kif Baba, qui milite pour l’égalité entre les deux sexes, c’est « le pouvoir d’appréciation laissé au juge, en temps normal utile pour statuer sur des cas particuliers, qui a été utilisé pour donner un message d’impunité totale aux violeurs d’enfants, aux pédocriminels ».

« Le processus est bloqué »

Au-delà de l’affaire en elle-même, le cas de S. soulève de nombreuses problématiques juridiques. « Ça pose la question de l’avortement qui est encore pénalisé au Maroc ou celle de la filiation illégitime qui engage la seule responsabilité de la mère vis-à-vis de l’enfant né hors mariage, sans impliquer celle du père biologique. C’est pourquoi nous demandons depuis longtemps la refonte globale du Code pénal et la création d’un Code de l’enfant », explique Ghizlaine Mamoouni, qui est avocate.

Depuis une dizaine d’années, avec la mise en place d’une nouvelle Constitution en 2011, intégrant le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, la société civile réclame la réforme du Code pénal ainsi que celle de la Moudawana, le Code de la famille. « Les gouvernements successifs annoncent vouloir répondre à cette revendication, mais le processus est bloqué », regrette maître Mohamed Oulkhouir, vice-président de l’Insaaf.

« Notre loi protège l’ordre social »

Entre 2016 et 2021, le Parlement a plusieurs fois essayé de s’entendre sur un texte, mais face aux désaccords, le projet a fini par être abandonné. Depuis, un nouveau projet de réforme est entre les mains du ministre de la Justice. Abdellatif Ouahbi a d’ailleurs déclaré aux médias marocains que la commission mise en place pour rédiger ce nouveau code pénal pourrait achever ses travaux « en avril 2023 ». Mais dans cette même déclaration, il ajoute que plusieurs membres de la commission sont dans l’impasse. « Selon l’orientation politique de chacun, qu’il soit conservateur ou réformateur, il est difficile de trouver un consensus », explique le garde des Sceaux.

Pour Me Mohamed Oulkhouir, « se cacher derrière cette recherche de consensus favorise le statu quo ». On s’appuie, dit-il, sur l’argument selon lequel « la société n’est pas prête, elle est traditionnelle et il ne faut froisser personne ». Selon lui, le texte actuel est un héritage du Code Napoléon, introduit au Maroc par la France au moment de la colonisation. « Il faut le balayer pour en adopter un nouveau qui soit en adéquation avec le Maroc d’aujourd’hui, poursuit-il. Nous devons pouvoir protéger nos enfants. »

Pour Soumaya Naamane Guessous, c’est d’autant plus important que « la notion de pédocriminalité n’existe pas dans le cadre pénal marocain », détaille-t-elle. On ne parle pas d’enfants abusés, mais de mineurs qui ont moins de 18 ans. « Ainsi, le fait d’agresser sexuellement un enfant de 8 ou 10 ans n’est pas considéré comme un facteur aggravant. Seul un cadre clair, un Code propre aux enfants pourrait leur assurer une protection judiciaire adéquate. » Me Mohamed Oulkhouir abonde : « Notre loi protège avant tout l’ordre social et la cellule familiale et non pas l’enfant en tant qu’individu », comme l’exige pourtant la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par le Maroc en 1993.

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