Saint-Louis : la difficile cohabitation entre les pêcheurs et la plateforme gazière GTA pousse les jeunes à la migration irrégulière

Plateforme GTA dans les eaux de Saint-Louis

Saint-Louis, cette ville située au nord du Sénégal a connu deux événements malheureux ces derniers mois : les affrontements meurtriers entre les pêcheurs de ladite ville et ceux de Mboro. Mais aussi, plus d’une quinzaine de morts liés à la migration irrégulière. En cause, l’implantation de la plateforme pétrolière et gazière Grand-Tortue Ahmeyim (GTA) sur « le diatara », un mot pour désigner la zone de pêche fertile qui se trouve au fond de l’océan. Cette plateforme a été implantée sans le respect des normes du code environnemental, selon spécialiste. Des solutions ont été formulées pour endiguer la migration irrégulière avec son lot de morts depuis début juin 2023.

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Credit: bp

Situé sur la langue Barbarie à Saint-Louis, Guet Ndar est un quartier de pêcheurs surpeuplé par d’immenses pirogues qui attendent de prendre la mer. Ici, le quotidien est rythmé par l’unique ressource : le poisson. Mais cette « denrée » se fait très rare. Conséquences, ils sont plusieurs jeunes à prendre les pirogues pour aller en Espagne. Les découvertes de corps de migrants sur les plages dakaroises (Ouakam) et les tweets réguliers des journalistes espagnols qui couvrent la migration, renseignent l’ampleur du phénomène au Sénégal.

La difficile cohabitation entre pêcheur et GTA

Nous sommes au quai de pêche de Guet Ndar, un mercredi du mois de juillet. En posant la question de savoir quelles sont les raisons de ces multiples cas de départs en Espagne à Oumar Ndiaye, président de l’Association pour la promotion socio-économique des pêcheurs de Guet Ndar, la raison est connue de tous. « Auparavant, nous allions pêcher, là où la plateforme est implantée. Actuellement, il est impossible d’y accéder. Vous voyez là-bas, ce sont les éléments de la Marine nationale qui sont postés. Celui qui arrive là-bas, on heurte sa pirogue et on le frappe. Les pêcheurs sont obligés d’aller pêcher vers la Mauritanie. Vous voyez cette caisse, avant, on la vendait entre 15.000 et 30.000 FCFA. Maintenant, c’est à 60.000 ou 80.000 FCFA.  Cette pirogue vient d’arriver. Cette plateforme nous a tués ».

Le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome a rendu visite le 13 juillet, aux rescapés se trouvant à l’hôpital, après le chavirement de leur pirogue en mer. Officiellement, le gouvernement sénégalais a parlé de 14 morts. Mais ces chiffres ont été contestés par Oumar Ndiaye.

 « Ils étaient 90 dans la pirogue. Les pompiers ont sauvé 6 personnes. On parle de 4 ou de 6 morts quand le ministre (de l’Intérieur, Antoine Diome) est arrivé à Saint-Louis. Donc, 6 morts et les 4 personnes transférées à l’hôpital, ce sont eux les rescapés. Tous les autres sont morts. Si vous regardez la vidéo lors de la visite du ministre à l’hôpital, un des jeunes lui a dit qu’ils étaient au nombre de 90. Il lui a dit que c’est eux qui ont été sauvés, il ne sait pas où sont les autres. Ils voulaient tous aller en Espagne. Ce que je peux vous dire, chaque semaine, il y a un départ de pirogue. Le pays ne fonctionne pas. La pêche ne nourrit plus son homme, la mer a été vendue », explique le pêcheur visiblement attristé par la situation.

Calvaire des femmes transformatrices

Traditionnellement, de nombreuses femmes gagnent leur vie en transformant le poisson. Mais actuellement, elles ne peuvent plus nourrir leurs enfants. La rareté du poisson a impacté les femmes transformatrices qui comprennent la situation des jeunes qui tiennent coûte que coûte à aller en Espagne. Mère Ndiaye, est une des leurs, et semble comprendre les jeunes, avant d’appeler le gouvernement à les soutenir dans cet élément sonore ci-dessous.

« A Ndar, les causes de ces départs, ce sont les difficultés de la vie. Ils voient leurs parents souffrir, la vie est difficile. Les gens sont fatigués. C’est pourquoi quand les jeunes voient leurs parents fatigués, beaucoup parmi eux veulent aller à l’étranger pour les aider. Mais s’ils avaient trouvé mieux, ils resteraient ici, vu que tout leur espoir repose sur la mer, l’Etat l’a vendu. Même ces temps-ci, j’ai entendu que l’Etat a signé un contrat avec des Chinois ou des Japonais. Alors qu’on voit qu’il n y a plus de poissons en mer. Si la caisse de poisson coute 35.000 ou 40.000 FCFA ici à Ndar, c’est trop. C’était entre 2.000, 2.500 ou 3.000 FCFA. Il n y a plus de poissons. On ne vit que de la mer. Le gouvernement du Sénégal doit penser au peuple. Qu’il nous aide afin qu’on puisse se nourrir. C’est pourquoi les jeunes partent de manière illégale à l’étranger, parce qu’ils n’ont plus de poissons. Il arrive qu’ils fassent 5 jours en mer et rentrent pratiquement bredouille ».

GTA installée sans le respect des dispositions du code environnemental

Pour une découverte pareille et l’implantation de la plateforme, il faudrait faire ce que le code de l’environnement à l’époque prévoyait, selon Mbacké Seck, président du Code écologique. Le spécialiste nous confie que c’est une étude d’impact environnemental et social qu’il faut faire pour voir quel est l’impact de l’exploration du gaz et du pétrole sur la pêche.

« Ce sont deux choses différentes. Mais chaque étape, que ça soit l’exploration et l’exploitation, peut avoir de pollution et de perturbation sur la pêche et les acteurs du littoral. C’est pourquoi aujourd’hui, nous pensons qu’il est important de respecter les dispositions de code de l’environnement notamment, l’article L48 qui dit que « toute exploitation, tout plan et tout projet ou programme qui peut avoir un impact positif ou négatif sur l’environnement devrait faire l’objet, soit d’un audit environnemental, soit d’une étude d’impact environnemental et social », explique-t-il.

Cette étude doit subir un processus jusqu’à la validation par les experts dans le domaine. Malheureusement, les responsables de bp parlent de clause de confidentialité jusqu’à ne pas respecter les dispositions de l’article L52 qui rend obligatoire la validation de la communauté pour toute étude ». Mbacké Seck regrette que « les consultations ne soient pas ce qu’elles devraient être parce-que dans l’étude d’impact environnemental et social, il est important de consulter les populations et les acteurs. « De plus en plus, une fois que l’unité de liquéfaction de gaz est installée sur la zone de pêche, on peut comprendre les tensions liées à la pêche, parce qu’ils n’ont pas respecté les consultations populaires. Ils (responsables bp) n’ont pas fait le suivi et les populations ne comprennent pas qu’on installe une usine sur lieu de pêche ».

GTA, le désespoir

Lorsque la plateforme gazière est arrivée au large de Saint-Louis, les habitants de cette ville balnéaire sénégalaise ont trouvé des raisons d’espérer. Les responsables avaient promis que le forage apporterait bientôt des milliers d’emplois et la diversification de l’économie. Au lieu de cela, confient des pêcheurs de Saint-Louis, GTA n’a apporté qu’une vague de problèmes. Les bénéfices promis par la découverte initiale d’énergie au large des côtes ne se sont pas concrétisés. Nos différentes tentatives pour obtenir la version de bp n’ont rien donné. Vu que le questionnaire envoyé par mail à une des responsables n’a toujours pas de réponse. Cette responsable affirme avoir transmis nos questions à l’équipe de communication, et dit ignorer à quel moment nous aurons notre réponse.

Quelles solutions pour endiguer la migration irrégulière

Pour endiguer la migration irrégulière quelques pistes de solutions ont été proposées. Cela passe par une gestion responsable des ressources halieutiques, afin de permettre à ces pêcheurs d’avoir encore des ressources. Mbacké Seck évoqué la nécessité de responsabiliser et d’assister les pêcheurs pour qu’ils parviennent à vivre, à se nourrir et à se soigner.

« S’ils n’ont plus de ressources, personne ne pourra arrêter la migration irrégulière. Ils n’ont qu’à faire un mur en mer, comme c’est le cas entre le Mexique et les États-Unis, personne ne peut les retenir. Il faut faire une sensibilisation avec les pêcheurs et les placer dans les dispositifs de gestion de la migration irrégulière. Permettre aux pêcheurs de discuter directement avec toute la chaîne de valeur de l’exploitation des ressources halieutiques. S’il n’y a pas de produits les femmes transformatrices, les mareyeurs et les pêcheries ne travaillent pas. Que ces pêcheurs aussi aient conscience qu’il faut laisser les poissons grandir. Tant que les gens resteront pauvres, avec des ressources insuffisantes, ils prendront les pirogues », soutient-il.

A Saint-Louis, la commune affirme avoir posé des actes pour aider les jeunes à trouver de l’emploi. Selon l’adjoint au maire, Abdoulaye Ndiaye, depuis des années leur équipe travaille dans la formation des jeunes dans plusieurs domaines notamment la conduite, pour qu’ils soient aptes et prêts sur le marché de l’emploi. Non sans oublier le programme d’urgence pour l’insertion socioéconomique et l’emploi des jeunes, appelé  »Xëyu ndaw ñi », en wolof. En plus de cela, le gouvernement du Sénégal a installé des BAOS (bureau d’accueil, d’orientation et de suivi des sénégalais) dans les 14 régions du Sénégal. Les cibles sont les migrants de retour, les potentiels candidats à la migration, les Sénégalais résidants à l’étranger et les communautés d’origine des migrants, afin de les orienter, les financer, les réintégrer et les sensibiliser. A ce jour, les statistiques sur les réalisations dudit projet à Saint-Louis ne sont pas encore disponibles.

Reportage réalisé par Salif SAKHANOKHO, grâce au soutien de l’Association des journalistes en migration et sécurité (AJMS)

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