Russie: une deuxième rentrée scolaire sous le signe de l’offensive en Ukraine

La rentrée scolaire 2022 s’était déjà faite sous le signe du drapeau et de nouveaux cours de patriotisme. Cette année, Moscou a passé la vitesse supérieure : révisions des manuels scolaires et priorité aux vétérans et enfants de combattants de « l’opération spéciale » dans les universités. Professeurs, enfants et adolescents et même parents sont mis à l’heure des combats.

À ceux qui pensaient encore que certains espaces publics, à commencer par ceux réservés à l’enfance, pouvaient être tenus à l’écart de « l’opération spéciale » lancée par Vladimir Poutine, l’affaire de Krasnodar a offert cet été l’éclatante démonstration du contraire. Au mois d’août dernier, dans cette ville du sud-ouest de la Russie, dernière grande agglomération avant le pont de Kertch, une mère de famille s’est ainsi rendue avec ses enfants sur le terrain de sport au pied de son immeuble.

Constatant que plusieurs personnes y étaient occupées à coudre des filets de camouflage pour l’armée, celle-ci a protesté : « Écoutez, ici, c’est un espace pour que les enfants jouent ! C’est illégal ce que vous faites. Moi, j’élève des enfants qui devraient avoir leur terrain pour faire du sport. Et vous, vous occupez tout l’espace. Parfaitement, c’est ce que vous faites. Oui, les enfants  devraient pouvoir disposer de l’aire de jeu ».

Le ton est monté très vite et très haut. La mère de famille protestataire faisait face à des épouses de soldats certaines de leur bon droit. L’une d’elle a par exemple lancé : « Et vous, vous faites quoi ici ? De la propagande ? ».

Des places à l’université réservées aux vétérans de la guerre et leurs enfants

Cette altercation, qui a fait le tour de la Russie sur les réseaux sociaux, a été diffusée par des blogueurs Z, soutiens numériques de l’offensive russe en Ukraine. Dans la foulée, la mère de famille a reçu des menaces de mort, puis la police a ouvert une enquête contre elle. Avec un motif désormais bien connu : « discrédit de l’armée ».

On le sait depuis de longs mois, le modèle de citoyens que le pouvoir veut promouvoir, ce sont ceux qui portent les armes en Ukraine. En cette rentrée, les vétérans du conflit et leurs enfants, par un décret présidentiel signé le 9 mai dernier, se sont ainsi vus réserver un quota de 10% des places dans les universités. Et ce, quels que soient leurs résultats obtenus à l’équivalent du bac. Ils ont pu entrer dans l’université de leur choix sans examen d’entrée, y compris les plus prestigieuses et les plus sélectives de Moscou ou Saint Pétersbourg.

Comme les élèves les plus brillants, ces nouveaux étudiants se voient aussi attribuer une bourse par l’état. Lundi 4 septembre, lors d’une réunion avec le premier ministre Mikhaïl Michoustine, le vice-Premier ministre Dmitry Chernyshenko a présenté ce bilan :  environ 8 500 vétérans de « l’opération spéciale », ainsi que les enfants de soldats participants à « l’opération spéciale », ont été inscrits dans les universités. Un chiffre totalement marginal à l’échelle de la Russie, mais peu importe : dans la communauté éducative, le débat fait rage depuis plusieurs semaines.

Cela crée des conflits et du mécontentement

Pour ce professeur qui a demandé à s’exprimer sous couvert d’anonymat : « Il est trop tôt pour dire dans quelle mesure cela affectera le niveau général dans les universités, car nous ne savons pas encore à quel point cette nouvelle pratique sera importante et permanente et comment elle sera mise en place ».

« En ce qui concerne le climat et l’atmosphère, oui, il y a certains conflits, il y a de l’insatisfaction, poursuit le professeur. Car, de facto, cela rend les places plus chères pour les élèves qui entrent sans aucun avantage, qui se sont préparés toute l’année à l’examen d’admission, ont étudié en plus le soir avec des tuteurs pour réussir leurs examens. Certains d’entre eux devront en plus chercher de l’argent pour payer leurs études. Tout cela crée des conflits et du mécontentement ».

Des critiques sur les réseaux sociaux

Impossible de faire s’exprimer ces mécontents. Mais certains d’entre eux se défoulent sur les réseaux sociaux. « Je souhaite sincèrement bonne chance à ces élèves, mais je vois mal comment ils vont arriver à suivre des cours d’élite », écrit un internaute. « Ils auront juste piqué la place de quelqu’un », ajoute un autre. On lit aussi cette remarque cinglante : « Papa ne pourra pas aider quand le mauvais élève aura été expulsé de la fac ».

De fait, un jeune homme, interrogé sur une vidéo rendue publique sur les réseaux sociaux, confiait il y a quelques semaines avoir avant tout pour ambition de « réussir à passer le premier semestre » dans une université d’élite de la capitale. Son score aux examens, confiait-il, est plus de deux fois inférieur à celui de ses condisciples.

Autre nouveauté cette année, une nouvelle édition des manuels d’histoire pour les élèves de première et terminale. Largement réécrits sur la période 1970-2000 pour refléter la vision patriotique diffusée par les autorités, ils ont aussi été augmentés d’une section allant de 2014 – année de l’annexion de la Crimée – jusqu’à aujourd’hui. On peut y lire que « L’Ukraine est un État ultranationaliste », que « L’opération militaire spéciale a été lancée par Vladimir Poutine pour mettre fin aux combats en Ukraine », ou encore que « l’idée fixe des Occidentaux est de déstabiliser la situation à l’intérieur de la Russie ».

Pour un syndicaliste enseignant, qui a demandé lui aussi à être cité sous condition d’anonymat, « ces nouveaux manuels caractérisent la tentative de l’État d’entrer dans la tête des écoliers, et de leur construire une certaine image du monde. Cette tentative ainsi que le manque de point de vue alternatif aura un impact, surtout sur les écoliers qui ne sont déjà pas très doués pour comprendre l’information, ou ceux dont les familles ont des opinions similaires.

 « Maintenant, il ne faut pas surestimer cette influence, tempère tout de même le syndicaliste.  Je suis à peu près sûr que la plupart des enseignants diront aux enfants « Il y a d’un côté les vraies connaissances, les vraies sciences ou les vraies recherches, et il y a de l’autre ce que vous devez apprendre pour l’examen. Ce que vous pensez vraiment, cela n’a aucune importance » ».

Comme la très grande majorité de la population, ce syndicaliste préfère faire le dos rond, et se dire que tout cela ne durera pas bien longtemps. Il ose même cette métaphore : « Vous vous souvenez de ces affiches à Kherson proclamant « la Russie est là pour toujours » ? Eh bien, tout le monde sait combien de temps en réalité l’armée russe a tenu la ville ».

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