«Opération Chrysalide»: comment la France organise la livraison de missiles Scalp à l’Ukraine

Alors que l’Ukraine, en difficulté, appelle le camp occidental à lui fournir un maximum d’armes pour freiner l’avancée russe, RFI révèle la méthode française pour alimenter les forces ukrainiennes en missiles de croisière Scalp sans toucher à ses propres stocks stratégiques. Une opération secrète qui s’appuie sur un schéma industriel inédit. Récit.

Le 16 janvier 2024, lors d’une conférence de presse, le chef de l’État Emmanuel Macron annonçait de nouvelles livraisons d’armes à Kiev. Pour la première fois, le président donnait un chiffre précis : « Quarante missiles Scalp » pour Kiev. C’est la seconde fois que Paris procède à la cession de telles armes aux forces ukrainiennes. Mais d’où proviennent ces missiles considérés comme stratégiques ?

Le programme a été baptisé « Chrysalide », en référence à la métamorphose de la chenille en papillon.

La France a identifié plusieurs lots de missiles de croisières Scalp, placés sous « cocons » dans ses arsenaux. Un cocon est un emballage étanche qui sert à protéger et conserver les matériels en vue d’une possible remise en service.

Deux types de stocks sont apparus : d’un côté, des vieux missiles arrivés en fin de vie mais intacts. De l’autre, des cocons contenant des missiles plus du tout en état de servir, car cannibalisés : c’est-à-dire qu’un certain nombre de pièces ou de composants avaient été retirés pour maintenir en état de marche d’autres Scalp déployés au sein des escadrilles de l’armée de l’air.

Ils doivent donc repasser dans les usines où ils ont été assemblés, en France. Plus précisément à Bourges, sur l’un des sites de l’industriel MBDA d’où ces engins sont sortis à partir des années 2000.

Procédure allégée

Une remise à niveau des matériels est prévue sur une durée de trois mois, pour compléter et faire passer à chaque missile une batterie de tests. Une procédure allégée, car Paris a la certitude que les Scalps envoyés en Ukraine ne seront pas à nouveau stockés mais bien tirés contre des objectifs russes dans les toutes prochaines semaines. Du consommable à courte échéance.

L’opération a commencé en janvier, dès l’annonce présidentielle. « Une démarche économique très efficace, puisque les Scalp sortis des cocons étaient de toute façon destinés à être « ferraillés » [détruits] », selon une source proche du dossier.  Ainsi, ils sont livrés à l’Ukraine à un prix ultra-compétitif, « au quart de la valeur d’un missile neuf », précisent nos sources. L’opération est entièrement financée par Paris via le fonds d’aide français à l’Ukraine. En outre, « ce mécano [schéma] n’a aucun impact sur les besoins des forces françaises », conclut-on à Paris.

Recherche d’armements tous azimuts

En dehors de « Chrysalide », ce programme strictement franco-français qui doit s’achever dans l’année, les autorités françaises prospectent également ailleurs. À la recherche de tous types de munitions : des Scalp, mais aussi des obus de 155 mm pour l’artillerie et de l’armement sol-air pour la défense du ciel ukrainien.

Il y a aussi des missiles Scalp version « export », et l’idée maîtresse, là encore, est de faire en sorte que ceux qui arrivent en fin de vie ou ceux qui pourraient être cédés, servent à l’Ukraine. Cette idée circule avec insistance depuis le début de l’année.

Certains clients de l’industrie de défense française ont commandé le Scalp en grande quantité dans une version un peu différente de celle qui équipe les escadrilles tricolores. Or, une source proche de l’industriel a précisé à RFI que ces versions ne peuvent pas être programmées via les ordinateurs français. Il faut donc adapter ces missiles pour qu’ils soient compatibles au système de préparation de mission que Paris a mis à disposition de Kiev.

Sur ce sujet sensible, la discrétion est de mise, mais il est probable que ces missiles « export », s’ils sont cédés, subiront quelques transformations sur les lignes d’assemblage afin d’être utilisable par l’aviation ukrainienne. La portée de ces Scalp « export » est un peu plus faible, et certains logiciels sont différents.

Quant au schéma industriel, plusieurs scénarios sont possibles : le cas le plus favorable serait celui « d’une cession directe à l’Ukraine avec rachat d’un missile neuf derrière, c’est le top ! », souffle un proche du dossier, le doigt barrant les lèvres. Chut… c’est un secret bien gardé.

L’artisan de la victoire en mer Noire

Les premiers exemplaires ont été livrés à l’Ukraine au second semestre 2023. Au mois d’août, le président ukrainien Volodymir Zelensky avait d’ailleurs dédicacé un missile Scalp en écrivant sur les flancs de l’arme : « Gloire à l’Ukraine ».

Le premier tir effectué avait ciblé un centre de commandement russe situé dans l’oblast de Louhansk, qui était jusque-là hors de portée de l’arsenal ukrainien. Mais les missiles Scalp, avec leur portée de 300 kilomètres, ont surtout été les artisans de la victoire de la mer Noire.

Le 12 septembre, une attaque de missiles d’ampleur détruit deux navires qui étaient en cale sèche dans le port de Sébastopol, un grand navire de débarquement et un sous-marin de classe kilo, le Rostov sur Don.

Le 22 septembre 2023, une salve de missiles pénètre la défense sol-air russe et frappe le quartier général de la flotte de la mer Noire situé, là encore, sur la base navale de Sébastopol, blessant et tuant des officiers de haut rang. L’amiral Victor Sokolov aurait été tué dans l’attaque, une information qui n’a cependant pas été confirmée.

Le 4 novembre 2023, le chantier naval de Kertch a essuyé une attaque massive d’une dizaine de missiles, un navire de guerre russe porteur de missiles de croisières Kalibr est endommagé.

Les missiles Scalp ont permis de repousser la flotte russe dans la partie la plus orientale de la mer Noire. Une victoire qui a permis à Kiev de protéger le port d’Odessa et de sécuriser un corridor naval le long de ses côtes, permettant l’export des céréales.

Un « game changer » aussi sur le front

Les Scalp ont aussi participé à la destruction d’importants moyens logistiques qui alimentaient le front russe. En effet, sa tête pénétrante permet de détruire des fortifications enterrées.

Le missile, d’une portée de 300 km, peut s’enfoncer de plusieurs mètres dans le béton et détecte la cavité où sa charge de 450 kilogrammes doit exploser. Sa très grande précision permet de forer un trou dans lequel peut s’engager un second missile.

Par ailleurs, son système de navigation inertielle et visuelle lui permet de voler en « déni de GPS », c’est-à-dire sans capacité de positionnement par satellite. Il peut enfin lâcher des leurres pour attirer la défense sol-air adverse et ainsi pénétrer dans la profondeur du dispositif ennemi. En termes militaires, le Scalp, c’est un véritable « game changer ».

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