L’ONU est réunie pour son Assemblée générale annuelle à New York. Ce 19 septembre débute le débat général, qui doit s’achever le 26. La question des conflits actuels et son corollaire, celle du maintien de la paix, risque de se retrouver sur la table des discussions de cette 78e édition. Un sujet délicat qui fait douter de plus en plus les acteurs étatiques comme non-étatiques de la planète.
Les assemblées générales de l’ONU « servent à tout sauf à parler du maintien de la paix ». Tel est le constat cinglant d’un agent de l’État français « bien informé » de la sphère onusienne. Les opérations de maintien de la paix ont pour objectif d’aider les pays touchés par des conflits et à « créer les conditions du retour à la paix, à maintenir la paix et la sécurité », notent les Nations unies. Elles visent à faciliter le processus politique, protéger les civils, aider au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants, et à faciliter l’organisation d’élections libres.
Les opérations de maintien de la paix (OMP) ont commencé en 1948 avec l’autorisation du Conseil de sécurité à déployer des observateurs militaires au Moyen-Orient. Depuis lors, l’ONU a déployé plus de 70 OMP dans le monde. Elles sont actuellement au nombre de onze, dont trois en Afrique.
Aujourd’hui, alors que les doutes planent sur une éventuelle intervention de l’ONU en Haïti, que des casques bleus se retirent de certaines zones de conflits comme c’est le cas au Sahel, le maintien de la paix semble avoir du plomb dans l’aile.
Et le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres l’a avoué à demi-mot en juillet dernier, appelant à réfléchir à l’avenir des opérations de maintien de la paix, soulignant leurs « limites » dans un monde de plus en plus fragmenté et marqué par une évolution des conflits. Il a appelé à une « réflexion globale sur l’avenir des opérations de maintien de la paix de l’ONU », évoquant des modèles plus « souples », avec des « stratégies de sortie appropriées ».
L’ONU a été mise en place en 1945 non pour faire la guerre mais pour faire la paix. Pourtant, plus de cinquante zones de conflits frappent actuellement la planète, et plus de deux milliards de personnes sont affectées. Et si les Nations unies apparaissent très actives en matière de climat ou de migrations, en ce qui concerne le maintien de la paix les choses sont tout autre.
« Après des années de présence dans certains pays, on se pose la question de savoir quel est le résultat obtenu », s’interroge ainsi l’agent de l’État français. Et de constater deux choses : que « l’outil OMP », ne répond ni aux besoins de sécurité des populations locales ni aux personnes au pouvoir, des élites légitimes ou pas.
Et nombre d’humanitaires vont dans ce sens. Séverine Autesserre, chercheuse franco-américaine qui travaille sur le sujet et qui a effectué de nombreuses missions en Afrique, parle du système comme de « paix et Cie ». « Construire la paix ne requiert pas nécessairement des interventions internationales massives (…) Pour construire la paix il faut donner du pouvoir aux citoyens. »
« Si on fait appel à des forces militaires, comme c’est le cas au Mali, c’est que la diplomatie ne fonctionne pas », déplore pour sa part l’agent de l’État français. « Intrinsèquement, l’ONU ne veut pas faire la guerre, même contre des terroristes, même si les mandats que lui confie le Conseil de sécurité émanent de manière préemptive. » À ce titre, l’actuel Secrétaire général de l’ONU, ancien de l’humanitaire qui a passé près d’une décennie au HCR, ne semble lui-même pas convaincu de ces grosses opérations militaires et a toujours préféré régler les affaires par la voie diplomatique et politique, ainsi que par le biais de la prévention et de la sensibilisation à la « bonne gouvernance ». « Des conflits de longue date toujours pas résolus, encouragés par de complexes facteurs nationaux, géopolitiques et transnationaux, ainsi qu’un décalage persistant entre les mandats et les ressources, ont mis en lumière ses limites », avait-il reconnu.
D’autant que ces énormes opérations de maintien de la paix ont un coût : plus d’un milliard de dollars par an et par mission pour des résultats qui se comptent sur le doigt d’une main… voire qui parfois ont été des catastrophes, à l’image de l’ex-Yougoslavie, du Rwanda ou encore de la Somalie.
D’ailleurs, l’ONU le dit clairement aujourd’hui : elle n’est pas une force d’imposition de la paix, elle est utile que quand il y a la paix. D’autant que nombre de ses casques bleus, qui ne sont ni une force antiterroriste, ni un outil d’imposition de la paix, ont péri durant les opérations de maintien de la paix aux quatre coins du monde.
Quid des casques bleus ?
En près de soixante-dix ans d’OMP, près de 500 soldats des Nations unies opérant dans les missions onusiennes sont décédés. Parmi eux, la majorité est issue des pays « du Sud », du continent africain mais surtout de l’Asie, tandis que ce sont les pays « riches » du Conseil de sécurité qui décident des interventions. « Les casques bleus ne sont pas là pour prendre des risques, affirme avec une certaine dose de cynisme avoué cet agent français qui souhaite rester anonyme, mais pour empocher de l’argent, avec des primes quand le matériel est bien entretenu, ce qui fait que les troupes ne veulent pas sortir de leur base. Et ces primes constituent bien souvent une bonne partie du budget de la défense nationale des pays dont sont issus ces casques bleus. »
Un cercle vicieux qui ne fonctionne pas quand la paix refuse de s’installer, comme lorsque des groupes terroristes ou armés s’opposent à celle-ci. D’autant que le plus souvent, ces casques bleus ne sont pas formés pour « maintenir » la paix, ils ne connaissent pas le terrain et ne parlent quasiment jamais la langue du pays dans lequel ils sont envoyés, voire ils ne peuvent même pas communiquer entre eux.
« Tout est fait pour que rien ne bouge », constate, de manière cinglante, la source française anonyme. Quant à la réponse des pays comme la France, membre permanent du Conseil de sécurité, elle estime être déjà très engagée dans des opérations extérieures pour pouvoir en faire davantage et dit ne pas avoir une armée suffisamment grande pour pouvoir déployer plus d’hommes au sein des OMP auxquelles Paris contribue déjà amplement financièrement. C’est ainsi instaurée une forme de « consensus mou » selon lequel les pays riches paient et les pays plus pauvres déploient des hommes.
« N’oublions pas que les opérations de maintien de la paix, souvent, sont issues d’une résolution du Conseil de sécurité qui vient généralement d’un seul État membre, c’est un système avant tout politique », analyse de son côté Catherine Dumait-Harper, ancienne déléguée de Médecins sans frontières auprès de l’ONU. « Les Anglais ont eu leur résolution pour intervenir au Liberia, les Français la leur pour l’opération Turquoise au Rwanda, les Russes pour intervenir en Géorgie, etc. »
« Si rien ne bouge en matière de maintien de la paix à l’ONU, c’est parce qu’en fait, tous les États y trouvent leur compte, conclut l’agent de l’État français. On est content que les Nations unies se déploient, ça évite à certains pays de se déployer eux-mêmes. C’est tellement plus facile de parler de sujets consensuels comme la drogue, de l’égalité homme-femme, du climat, de la défense des enfants etc, car là, tout le monde est d’accord. »
Mais une chose demeure : il est certain que si l’ONU n’était pas présente en zones de conflits, des massacres à plus grande échelle se produiraient. Aujourd’hui, les OMP sont de plus en plus sollicitées et sont confrontées à des défis extrêmement divers. L’an dernier a vu le nombre le plus élevé de décès liés à des conflits depuis trois décennies. Mais « une OMP ne résout pas un problème, ça fige au mieux une situation », notent de nombreux diplomates onusiens. Et à ce jour, même si de nombreuses difficultés entravent les OMP et que si le fond du problème, le serpent de mer qu’est la réforme du Conseil de sécurité, demeure en coulisses, les Nations unies restent l’organisation internationale la plus légitime pour intervenir dans les moments de conflits.
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