Obsèques de Navalny: «Le pouvoir russe fait preuve de nervosité malgré « l’absence » d’opposition»

Des milliers de personnes ont fait leurs adieux à Alexeï Navalny lors de ses funérailles à Moscou le vendredi 1er mars, malgré les mises en garde du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qui avait averti de potentielles sanctions en cas de participation à toute manifestation dite « non autorisée ». Selon Françoise Daucé, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste de la Russie, le mouvement de contestation peut ressurgir. Entretien réalisé par Romain Lemaresquier.

RFI : Plusieurs milliers de partisans et de citoyens russes sont venus rendre un dernier hommage à Alexeï Navalny, principal détracteur du Kremlin, mort dans des circonstances troubles dans une prison de l’Arctique, il y a deux semaines. Vous attendiez-vous à cette mobilisation ?
 
Françoise Daucé : C’est vrai que dans un contexte de répression très forte de toutes les oppositions politiques, la présence très massive de citoyens russes venus rendre hommage à Navalny est très impressionnante. Elle montre qu’ils ont bravé le danger pour venir rendre un dernier hommage à Navalny. De fait, c’est presque une surprise. Depuis février 2022 et le début de l’agression massive de la Russie contre l’Ukraine, on n’avait pas vu ce type de mobilisation ou de regroupement public, en soutien à l’opposition. Au-delà de la présence physique autour de l’Église et au cimetière pour rendre hommage à Navalny, le nombre de personnes qui ont suivi la cérémonie en ligne est impressionnant. Si on regarde le canal de l’équipe Navalny sur YouTube, presque quatre millions de personnes ont suivi la cérémonie. Cela témoigne du grand nombre de personnes ayant suivi cette cérémonie, à la fois sur place et en ligne.
 
Cette mobilisation démontre-t-elle que le travail entamé par Alexeï Navalny peut à terme se poursuivre ?
 
Il faut peut-être revenir sur l’action d’Alexeï Navalny, depuis dix ans, dans la société russe, entre 2012 et 2022. C’est vrai qu’il a animé un mouvement d’opposition important, à la fois dans les capitales, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, mais aussi dans l’ensemble du pays. Et en fait, en voyant aujourd’hui les personnes défiler sur sa tombe, qui étaient plutôt des personnes très ordinaires, on voit comment le mouvement qu’il a lancé a eu un effet transformateur dans la société russe. Ce mouvement a été incarné par sa personne, par lui-même. Mais en fait, il s’appuyait quand même sur un réseau militant et sur sa fondation de lutte contre la corruption. Alors, c’est vrai qu’une partie des cadres de ce mouvement sont aujourd’hui en exil, parce que les menaces pesant contre eux sont très lourdes. Mais en même temps, on voit qu’à terme, et peut-être pas dans un avenir proche, ce mouvement qui a été créé, ou en tout cas cette socialisation à la contestation politique peut éventuellement ressurgir.
 
Moscou craint-il une contestation ?
 
Le Kremlin a détruit toute opposition institutionnelle depuis de très nombreuses années. Il n’y a plus d’opposition instituée dans le pays. Les partis politiques d’opposition ont été liquidés. Au Parlement, seuls les partis loyaux au pouvoir sont autorisés à participer. On voit bien qu’autour de Vladimir Poutine, les candidats qui se présentent sont des candidats qui ont été validés par le système et qui sont loyaux au régime. Objectivement, d’un point de vue institutionnel, on ne voit pas d’opposition politique qui puisse faire de l’ombre au chef de l’État et notamment à l’occasion de ces fameuses élections. Ce qui est frappant, c’est de voir l’énergie qui est émise par ce régime pour contrôler toutes les formes de critiques qui peuvent s’exprimer dans la société. On voit bien le déploiement, en permanence, de ces services de surveillance et de contrôle de la population qui vont réprimer même des formes les plus symboliques de protestation. Donc, ce décalage entre d’un côté l’absence d’opposition institutionnalisée, et de l’autre cette énergie qui est mise à essayer de tout contrôler dans le pays. Cela témoigne quand même d’une forme de nervosité de ce pouvoir, qui sent bien que des opinions contraires, et peut-être des vents contraires, soufflent dans la société.

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