Cela fait près de deux mois que la guerre a repris entre l’armée nationale, soutenue par le groupe russe Wagner, et le CSP (Cadre stratégique permanent), aujourd’hui majoritairement constitué de groupes qui s’étaient soulevés en 2012 pour l’indépendance des régions du Nord. Mais cette reprise des combats au Mali n’a suscité absolument aucune réaction de la médiation internationale pour le suivi de l’accord de paix de 2015, dont le chef de file est l’Algérie. Aucune déclaration, aucun communiqué. Un silence qui traduit à la fois une perte d’influence et une patiente stratégie d’attente.
Les autorités maliennes de transition et le CSP se rejettent mutuellement la responsabilité de la reprise de la guerre. À qui incombe-t-elle ? La médiation internationale pour le suivi de l’accord de paix de 2015 ne s’est pas prononcé sur le sujet. Aucun arbitrage, pas même un appel à la retenue, à la protection des civils ou au dialogue. Diplomates et chercheurs, Algériens, Maliens, Ouest-Africains ou Européens, les interlocuteurs sollicités par RFI pour comprendre et analyser ce silence ont tous requis l’anonymat.
Plus de réunion depuis juin
« La médiation internationale ne s’est plus réunie depuis le mois de juin », confie un diplomate directement concerné. Pour rappel, la médiation est conduite par l’Algérie mais rassemble de nombreux pays voisins (Niger, Mauritanie, Burkina Faso, Tchad, Nigeria) et des organisations internationales (ONU, UA, Cédéao, UE, OCI). L’accord de paix précise que les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont également « invités à participer aux travaux du comité » de suivi. Mais depuis cinq mois, et donc depuis la reprise de la guerre il y a deux mois, ses membres ne se sont plus retrouvés dans la même pièce.
« La Minusma était la locomotive de la médiation, poursuit cette source diplomatique, elle assurait le secrétariat, elle rédigeait les communiqués. » Aujourd’hui, la mission onusienne n’a plus ce mandat et vit ses dernières heures. Si certains pays membres ont bien tenté de ranimer la médiation après la reprise des combats et d’organiser de nouvelles cessions, leurs velléités sont restées sans effet.
« Les militaires au pouvoir ne veulent plus de cette médiation, explique un autre diplomate. Ils estiment que c’est une ingérence qui joue contre eux. » Créée lors de sa signature comme une garantie pour l’application de l’accord de paix au bénéfice de toutes les parties signataires, et censée rappeler à l’ordre les groupes armés ou le gouvernement en cas de manquement, la médiation internationale serait aujourd’hui perçue par les autorités maliennes de transition comme une ennemie. « Ceux de la transition qui croient encore dans l’accord de paix, et ils ne sont pas les plus nombreux, poursuit un chercheur, veulent diriger directement son application. » Objectif : un processus inter-malien, piloté à et par Bamako.
Relation compliquée avec Bamako
« Le constat général, c’est que nous n’avons plus aucun levier, reconnaît un diplomate, il n’y a plus d’échange avec Bamako. » Toutes les sources consultées expliquent qu’au fil des mois, et notamment après le second coup d’État de mai 2021, les autorités maliennes de transition ont progressivement cessé de répondre aux initiatives de la médiation. « La relation n’est pas complètement rompue mais elle est devenue compliquée », nuance un chercheur.
L’Algérie, silencieuse elle aussi, serait-elle sur le point de se faire évincer ? Chef de file de la médiation internationale, voisine directe du Mali dont elle a toujours surveillé le moindre soubresaut, l’Algérie continue pourtant de défendre l’accord de paix de 2015, pour lequel elle s’était largement impliquée. Les négociations avaient en grande partie eu lieu à Alger, ce qui vaut à cet accord signé à Bamako d’être le plus souvent désigné comme « accord d’Alger. »
Chercheurs et diplomates résument tous l’équation de la même manière : l’Algérie ne souhaite pas la résurgence à ses portes d’une rébellion indépendantiste qui pourrait donner des idées aux Touaregs du sud algérien. Mais elle ne veut pas non plus d’une occupation militaire malienne à Kidal, avec le risque d’une guérilla qui embraserait la région pour longtemps, susciterait l’afflux de milliers de réfugiés et renforcerait de surcroît la menace jihadiste. Sans même parler de la présence du groupe Wagner à sa frontière. En clair, l’accord de paix de 2015 est considéré par l’Algérie comme le meilleur garant de la stabilité du Mali, mais aussi de sa propre sécurité nationale. Il s’agit donc de le sauver. « Quitte à l’améliorer », relève un chercheur.
Éviter les faux-pas
« C’est une posture d’attente », confirment avec les mêmes mots plusieurs diplomates. « Ils ne sont pas immobiles, ils gardent des contacts et attendent le bon moment pour s’avancer. » L’Algérie n’ayant pas réussi à empêcher la reprise des combats, elle attendrait leur issue et l’ouverture d’une fenêtre politique pour revenir dans le jeu. « Ils sont prêts à relancer la médiation mais ils ne veulent pas faire de faux-pas, ni d’effet d’annonce. » Le fiasco de la médiation algérienne au Niger, avortée le mois dernier avant même d’avoir commencé, a laissé des traces.
« Ils sortiront du bois quand le rapport de force sera plus clair », abonde un chercheur. « La stratégie de Bamako, qui privilégie l’offensive militaire, va à l’encontre de l’accord de paix, analyse un autre chercheur. Mais Alger prend garde à ne pas être dans l’opposition publiquement, pour garder les chances d’une reprise de la médiation. » Pour Alger donc, silence ne serait pas synonyme d’inertie mais de stratégie. Contrainte, mais consciente et patiente.
« Avec le régime actuel au Mali, j’ai du mal à imaginer que l’Algérie puisse se refaire une place », tranche cependant un diplomate. « Ils surestiment leur poids ». S’il est vrai que le Mali s’est souvent tourné vers l’Algérie pour résoudre ses problèmes dans le Nord, elle pourrait, comme d’autres partenaires historiques avant elle, faire les frais de la nouvelle forme de patriotisme revendiquée par les autorités maliennes de transition. « Quant au CSP, ils en veulent à l’Algérie de ne pas avoir suffisamment pris en compte le glissement des autorités de transition et de ne pas s’être prononcée sur l’arrivée de Wagner. Le temps où l’Algérie pouvait imposer ses solutions semble révolu. »
L’Algérie fera son entrée au Conseil de sécurité de l’ONU en janvier prochain, en tant que membre non permanent. Une occasion de promouvoir son modèle diplomatique, qu’une éviction du dossier malien viendrait douloureusement ternir.
Au cours des derniers mois qui ont précédé la reprise de la guerre, plusieurs cadres du CSP ont loué auprès de RFI la disponibilité du médiateur algérien tout en s’offusquant de sa souplesse vis-à-vis des autorités de transition, accusées par les rebelles de ne pas s’impliquer dans l’application de l’accord. Le CSP n’a, dans le contexte actuel, pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
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