L’Europe met les bouchées doubles pour fournir des armes à l’Ukraine. Cette semaine les 27 devraient approuver un financement de deux milliards d’euros supplémentaires pour lui livrer des obus. Mais l’industrie aura du mal à faire face à ces futures commandes.
Ces deux milliards vont s’ajouter à l’enveloppe de 8 milliards dédiée à « la Facilité européenne pour la paix » créée pour financer l’aide militaire à l’Ukraine jusqu’en 2027. Un milliard d’euros permettra aux 27 qui puisent dans leur stock national pour soutenir Kiev de le reconstituer. Un milliard en plus pour acheter ces fameux obus de 155 mm dont l’Ukraine a tant besoin. Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense devraient valider la décision aujourd’hui et les chefs d’État l’entériner lors de leur sommet. L’argent est à portée de main, mais il ne suffira pas à concrétiser des commandes parce que les besoins de l’Ukraine dépassent largement les capacités de production de toute l’Europe.
L’Ukraine consomme aujourd’hui 100 000 obus par mois, son ministre de la Défense voudrait en recevoir 250 000 de l’Europe
Or la quinzaine de producteurs européens peut aujourd’hui fournir seulement la moitié de ce que réclame l’Ukraine. Une production qui couvre aujourd’hui la demande des 27 et des autres pays importateurs assurant la rentabilité de la filière. Il faudrait donc doubler les capacités actuelles rien que pour exaucer les vœux de Kiev. Hormis les deux poids lourds européen, le numéro un allemand Rheinmetall et le numéro deux français Nexter, le reste de la production est très éclaté, en perte de vitesse depuis la chute du mur de Berlin. Le commissaire français Thierry Breton est en train de faire la tournée des fabricants pour identifier leurs capacités à honorer les futures commandes.
L’industrie est aussi confrontée à une pénurie d’explosifs
Seul Rheinmetall est autonome avec sa filière intégrée. Les autres producteurs européens se sont progressivement désintéressés de cette production. La Roumanie par exemple a fermé sa dernière usine de poudre en 2002. Les industriels s’approvisionnent dans l’urgence en Inde ou en Corée du Sud. Reconstruire une filière en Europe prendra du temps. Le Tchèque Explosia, l’un des plus gros producteurs européens des composants nécessaires pour l’obus de 155 millimètres, tourne déjà au maximum de sa capacité, il estime qu’il ne pourra pas faire mieux avant 2026. La Roumanie envisage de ressusciter son savoir-faire. Le spécialiste français Eurenco est en train de relocaliser sa production de poudre de gros calibre sur son site de Bergerac dans le sud-ouest.
Cette course aux matières premières fait grimper le prix des obus
Plus 20% par rapport à l’année précédant le début de la guerre en Ukraine. Car la facture de ces explosifs a doublé. Une inflation qui n’est pas près de se calmer. Plus il y aura d’usines pour fabriquer des obus, plus la demande en explosifs va augmenter. Il faut donc s’attendre à de nouvelles hausses des prix. Un contexte hyper favorable aux industriels. Ils ont engrangé des profits records en 2022. Cela ne les empêche pas de demander davantage de soutien public. En Allemagne, le patron de Rheinmetall exige des aides équivalentes à celles qui ont été octroyées au fabricant américain de semi-conducteur Intel pour ouvrir une nouvelle usine en Basse-Saxe. Arguant que la défense est aussi stratégique que les puces électroniques.
Le dernier point de blocage, et non des moindres, concerne le processus de commande
En théorie les 27 souhaitent mutualiser leurs achats, comme ils l’ont fait pour le vaccin anticovid, afin de mieux négocier les prix avec les industriels. En pratique il n’y a pas encore de consensus sur ce point hyper sensible. Chacun voulant d’abord regarnir les stocks de sa propre armée avant de penser collectif.
Partager