« Le Mali demande le retrait sans délai de la Minusma. » Le 16 juin dernier, le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop exige avec fracas la fin de la Minusma, la mission onusienne présente depuis dix ans au Mali, dont le mandat expire ce vendredi. Demain jeudi, le Conseil de sécurité n’examinera donc pas le renouvellement du mandat de la Minusma, mais la perspective de son retrait.
Il y avait certes des signes avant-coureurs depuis deux ans (interdiction de survol de certaines parties du territoire, entraves au déplacement du personnel onusiens, expulsion du porte-parole de la Minusma puis du chef de sa division « Droits de l’homme ») et les Nations unies s’apprêtaient à modifier en profondeur le mandat d’une mission qui ne satisfaisait plus Bamako et dont le travail était devenu très difficile, entravé par les autorités maliennes de transition sur le terrain. Pour autant, la demande radicale de mettre un terme à la Minusma a surpris tout le monde, et les différents modes de réorganisation qui étaient sur la table du Conseil de sécurité de l’ONU sont désormais caduques : le Mali souhaite que la Minusma plie purement et simplement bagage.
Les autorités maliennes de transition estiment que la mission ne répond pas à leurs attentes : le contexte nécessite, selon Bamako, « une force de lutte contre le terrorisme, dépassant la doctrine de mission de paix des Nations unies ». Une force plus robuste, plus offensive : cette demande ne date pas de la transition, elle illustre une frustration récurrente des gouvernements maliens qui se sont succédé depuis la création de la Minusma en juillet 2013.
Surtout, les autorités maliennes ne veulent plus du travail de la division « Droits de l’homme » de la mission, qui a documenté dans de nombreux rapports les violences jihadistes, mais aussi celles de l’armée malienne et de ses supplétifs russes du groupe Wagner. Des informations embarrassantes vis-à-vis de la population malienne, et potentiellement risquées en cas d’éventuelles poursuites judiciaires contre les dirigeants politiques et militaires maliens et russes (par la Cour pénale internationale par exemple, comme le demandent des organisations de défense des droits humains).
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le rapport sur l’opération militaire menée dans le village de Moura en mars 2022. L’enquête publiée par les Nations unies accuse l’armée malienne et ses supplétifs russes d’avoir exécuté sommairement plus de 500 personnes, et révèle des actes de torture, des viols… En contradiction totale avec la version officielle : 203 morts, tous jihadistes, selon le bilan de l’armée malienne.
« Ce sont ces rapports les accusant [l’armée et donc les autorités de transition, NDLR] de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de violations graves et même d’épuration ethnique lors des opérations militaires qui ont commencé à rendre les rapports entre les deux parties très tendues », explique Aly Tounkara, directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S) à Bamako. « La Minusma est une mission de soutien et non une mission d’imposition de la paix, poursuit le chercheur, mais pour les autorités maliennes, elle n’est plus dans cette posture : elle s’est clairement érigée en une sorte de gendarme, d’où la réticence des autorités maliennes pour son maintien. »
Une demande diversement accueillie
Sans surprise, cette demande a été plébiscitée par les soutiens des autorités de transition au Mali, et par les militants dits « néo-panafricanistes » sur tout le continent. Elle est interprétée comme un acte fort de souveraineté face à l’impérialisme occidental. C’est également ce que pensent les autorités de transition du Burkina Faso, elles aussi issues d’un coup d’État militaire, qui ont« salué » une « décision courageuse ».
À l’inverse, les États-Unis ont fait part de leurs « regrets » et de leur « préoccupation », une position clairement partagée par l’essentiel des pays occidentaux et ouest-africains, qui se sont largement abstenus de commenter publiquement la décision malienne, perçue, selon des sources diplomatiques, comme une nouvelle preuve du populisme radical des militaires au pouvoir et de leur dérive autoritaire (après le départ de la force française Barkhane et l’expulsion de l’ambassadeur de France, l’expulsion de l’ambassadeur de la Cédéao, l’arrestation des militaires ivoiriens, la détention – légale ou illégale – de personnalités trop critiques au Mali…).
C’est aussi le cas de tous les Maliens opposés aux actuelles autorités de Bamako, qui craignent l’isolement de leur pays et sa mise au ban de la communauté internationale – non seulement vis-à-vis des alliés occidentaux traditionnels, mais également sur la scène continentale. Certains partis politiques maliens, comme le Parena de l’ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé, ont ouvertement exprimé de telles réserves.
C’est enfin le cas des Maliens qui, loin de Bamako, bénéficient directement et quotidiennement de la présence de la Minusma. « Dans des localités comme Gao, Tombouctou, Kidal, explique encore le sociologue malien Aly Tounkara, certains acteurs souhaiteraient majoritairement son maintien, non pas parce que la mission jouerait sa partition sur les questions sécuritaires, mais plutôt pour toutes les opportunités et les emplois créés par la mission, et toutes ses actions de développement : l’accès à l’eau potable, la santé ou la mobilité des populations. »
Dans son communiqué du 16 juin dernier relatif à la demande de retrait de la Minusma, le gouvernement malien de transition « rassure l’opinion nationale que les mesures sont prises pour atténuer l’impact de cette décision ».
Un pari risqué pour les autorités ?
Le gouvernement malien s’appuie lui-même quotidiennement sur la Minusma : c’est grâce à ses avions que les administrateurs de l’État se rendent dans les régions où la présence jihadiste rend la route trop dangereuse, notamment dans le Nord et dans le Centre. La Minusma soutient également de nombreuses activités gouvernementales. Elle a par exemple participé au transport du matériel électoral lors du referendum constitutionnel contesté du 18 juin dernier.
Sur le plan sécuritaire, la présence des Casques bleus, même si leur action est jugée insuffisante et inadaptée par les autorités maliennes de transition, permet tout de même de limiter, pour le moins, l’activité terroriste. Parce qu’ils tiennent des bases, qu’ils patrouillent dans et autour des villes. Sans parler des incertitudes sur l’avenir de la présence des supplétifs russes de l’armée malienne, dans le contexte de confrontation entre le groupe Wagner et l’État russe depuis cinq jours. Une confrontation qui risque d’avoir de lourdes conséquences pour le dispositif sécuritaire malien, même s’il est encore impossible de prévoir lesquelles, tant la situation est incertaine et évolutive.
Enfin, la Minusma est un rouage central de l’accord de paix signé en 2015 entre l’État malien et les groupes armés du Nord, notamment l’ex-rébellion indépendantiste. Les groupes armés signataires de l’accord de paix, réunis au sein du CSP (Cadre stratégique permanent), ne cachent pas leur inquiétude quant à la survie de cet accord et aux intentions réelles des autorités de transition. « Il y a une rupture entre les parties signataires depuis le mois de mars, rien n’avance », rappelle Mohamed El Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP. « Donc dire à la Minusma de partir aujourd’hui, pour nous, c’est un coup fatal porté à l’accord. Parce que la Minusma fait partie de la médiation internationale, elle joue un rôle crucial dans l’observation du cessez-le-feu et le suivi des arrangements sécuritaires. Dire à la Minusma de quitter aujourd’hui, c’est comme s’attaquer à cet accord qui souffre déjà ».
Un retrait dans quelles conditions et dans combien de temps ?
Pour autant, les autorités maliennes de transition ont pris leur décision : la Minusma doit partir. Parce qu’on voit mal le Conseil de sécurité chercher à maintenir la Minusma contre la volonté du pays hôte, les questions auxquelles il devra essayer de répondre jeudi sont : comment et en combien de temps ? La Mission onusienne compte près de 15 000 hommes, (Casques bleus et civils) répartis sur douze sites. De Bamako, dans le sud du pays, à Kidal ou Tessalit, dans l’extrême Nord, en passant par Mopti ou Douentza, dans le centre. Quelle durée envisager pour leur départ ? Quelles seront les activités autorisées pour le personnel onusien pendant la période de retrait ? Quid des infrastructures de la mission ?
Arthur Boutellis a travaillé dans des missions de maintien de la paix pendant une quinzaine d’années, y compris à la Minusma, entre 2013 et 2015. Il est aujourd’hui enseignant à Columbia et à Sciences-Po, et conseiller à l’International Peace Institute. « C’est tout l’enjeu de la négociation, pose le chercheur, l’adoption d’une résolution qui permettrait un départ rapide, mais ordonné de la mission. Étant donné les enjeux logistiques et sécuritaires particuliers au Mali, je pense qu’un délai de moins d’un an ne serait pas raisonnable. L’enjeu véritable, c’est un retrait négocié qui permettrait d’éviter un vide sécuritaire, mais aussi qui éviterait un divorce entre le Mali et la communauté internationale sur le court et le moyen terme. »
Un projet de résolution qui circule ces derniers jours prévoit un départ d’ici à six mois, mais certaines voix plaident plutôt pour un an, tandis que le Mali voudrait à l’inverse aller encore plus vite, peut-être trois mois. Les négociations sont difficiles, elles se poursuivent, et la réunion du Conseil de sécurité prévue demain jeudi a été repoussée à vendredi, indique l’agenda officiel des Nations unies. Si les différentes parties ne réussissent pas à s’entendre, une prolongation technique, le temps de poursuivre les discussions, est aussi une option.
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