L’Allemagne a annoncé, jeudi, une première livraison de chars Leopards 2 à l’Ukraine entre « fin mars et début avril ». Ce qui ne veut pas dire que les forces ukrainiennes sur le front pourront les utiliser dès le printemps. Car la remise à l’Ukraine de ces très attendus chars d’assaut n’est qu’une première étape d’un périple très complexe et long pour les faire parvenir sur le front.
Berlin et Washington ont donné leur accord de principe. Reste maintenant les travaux pratiques : comment faire parvenir au plus vite et en toute sécurité les blindés lourds allemands et américains sur le front ukrainien. Car Volodymyr Zelenski l’a rappelé dans son allocution du 25 janvier : l’Ukraine a besoin de ces renforts sans tarder pour espérer contrer la prochaine offensive russe, attendue ce printemps. L’Allemagne a évoqué une fenêtre de livraison entre « fin mars et début avril ».
Jusqu’à présent, les pays occidentaux ont réussi à livrer sans accroc du matériel militaire valant plusieurs dizaines de milliards de dollars. « La Russie n’a, officiellement, jamais réussi à frapper un convoi d’armes dans ce que les experts militaires décrivent comme un jeu du chat et de la souris que l’Ukraine est en train de gagner », souligne le New York Times, dans un article publié mercredi 25 janvier.
Des engins qui passent difficilement inaperçus
Mais les chars Léopard 2 promis par l’Allemagne, tout comme les Abrams américains ont été désignés comme des cibles prioritaires à détruire pour Moscou. « Ils vont brûler », a averti Dmitry Peskov, porte-parole du Kremlin.
Ces engins imposants, pesant plus de 55 tonnes, peuvent difficilement passer inaperçus sur les routes ukrainiennes. « C’est un véritable défi logistique », reconnaît Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.
Les détails d’une telle opération font partie « des secrets les mieux gardés de cette guerre », assure le New York Times. Il faut d’abord décider d’un lieu de livraison de ces blindés. « Pour des raisons de sécurité, la remise en mains ukrainiennes se fera probablement dans un pays européen membre de l’Otan et voisin de l’Ukraine [la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, NDLR] », assure Jeff Hawn. Les Américains ou les Allemands ne voudront certainement pas prendre le risque d’exposer leurs hommes à une éventuelle frappe russe en territoire ukrainien.
Dès lors que l’armée ukrainienne aura pris possession des Leopard 2 et Abrams, ils vont donc devoir se débrouiller tout seul pour faire parvenir ces blindés sur les lignes de front. Et avec des chars d’assaut ultra-moderne, il ne s’agit pas simplement de prendre le volant et rouler jusqu’au Donbass. « Les Leopard 2 allemands sont un peu plus simple à manipuler et entretenir car ils sont plus proches dans leur conception de ceux que les Ukrainiens ont déjà utilisé. Mais avec les chars Abrams, c’est un environnement électronique complètement neuf, avec un moteur très particulier et du carburant spécifique », résume Jeff Hawn.
Les convois ne seront donc pas seulement constitués de blindés. Il faut y ajouter les pièces de rechange en cas de pannes techniques, des stocks de carburant et du personnel spécialement entraîné pour entretenir et manipuler au quotidien ces machines de guerre.
Un attelage qui peut rapidement prendre beaucoup de place et se faire plus facilement repérer par les Russes. De ce fait, les Ukrainiens ne vont probablement pas envoyer tous les chars lourds qu’ils sont censés recevoir – 31 tanks Abrams et 14 Leopards 2 – d’un coup vers la ligne de front. « Ils vont faire des groupes de quatre à six chars », estime Jeff Hawn.
Voie ferrée ou réseau routier ?
Il faut ensuite choisir un moyen de les acheminer. Un sacré casse-tête. « Le chemin de fer peut sembler attractif, mais les Russes connaissent bien le réseau ferré ukrainien et pourraient le scruter de près s’ils veulent vraiment détruire ces tanks », assure Huseyn Aliyev, spécialiste du conflit ukraino-russe à l’université de Glasgow.
La route n’est pas une alternative beaucoup plus attractive. Certaines voies ne supporteront tout simplement pas le poids de ces blindés. Par exemple, « il y a des ponts en Ukraine qui ont été bâtis pour supporter au maximum le poids d’un char soviétique, qui est plus léger que ces nouveaux modèles occidentaux », affirme Huseyn Aliyev.
La solution serait donc probablement de passer par les grandes routes les mieux entretenues, qui sont aussi les plus exposées. Sans compter qu’il faudrait mobiliser des camions à plateforme pour les transporter car « on ne va pas faire rouler ces blindés pour préserver autant que possible le carburant propre aux tanks », affirme Jeff Hawn.
Dans ces circonstances, les spécialistes interrogés estiment qu’il y aura probablement un mélange des moyens de locomotion. Un peu de train, puis de la route et/ou vice-versa… mais « toujours de nuit et avec le meilleur camouflage possible », souligne Huseyn Aliyev.
L’itinéraire emprunté sera donc élaboré avec le plus grand soin. Et il est possible que les Ukrainiens en établissent plusieurs et alternent au fur et à mesure de l’envoi des peloton de blindés.
À temps pour l’offensive de printemps ?
C’est donc un « processus très graduel qui va prendre beaucoup de temps », reconnaît Jeff Hawn. Une ressource dont l’Ukraine ne dispose, pourtant, qu’une quantité limitée.
Dans le cas des Abrams, ce transfert à l’Ukraine « peut prendre plus d’un an », selon des responsables militaires américains interrogés par le New York Times. Mais il s’agissait de blindés envoyés depuis les États-Unis. Heureusement pour Kiev, « une partie des ces chars sont entreposés dans des stocks en Europe, comme en Allemagne », précise Jeff Hawn.
En outre, il faut tenir compte du temps de formation à ces chars américains très perfectionnés, qui peut durer des mois. Mais Huseyn Aliyev est convaincu que « l’annonce publique de l’envoi des blindés ne fait qu’entériner une décision qui a été prise en coulisse en amont. Les formations des Ukrainiens à l’usage des Léopards et Abrams a déjà dû commencer il y a plusieurs mois ». De quoi garantir que le matériel militaire arrive à temps pour participer à la défense contre la probable offensive de printemps de l’armée russe ?
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