Haut-Karabakh: «L’Azerbaïdjan a toujours été ouvert au dialogue»

Charles Michel, le président du Conseil européen, a annoncé que des pourparlers entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie auront lieu d’ici à la fin du mois d’octobre à Bruxelles, lors du sommet de la Communauté politique européenne. À l’origine, ces discussions auraient dû démarrer ce jeudi 5 octobre à Grenade, en Espagne, en présence des dirigeants des deux pays. Mais au dernier moment, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a décidé d’annuler sa participation. En cause : des prises de positions jugées hostiles, ces derniers jours, parmi les pays occidentaux. La France, en particulier, a suscité l’agacement des autorités azerbaïdjanaises. Entretien avec Elin Suleymanov, ambassadeur de l’Azerbaïdjan au Royaume-Uni.

RFI : L’Azerbaïdjan a refusé de participer aux discussions qui étaient prévues à Grenade avec le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Est-ce que Bakou est favorable néanmoins à la tenue de ce dialogue ?

Elin Suleymanov : L’Azerbaïdjan a toujours soutenu pleinement la conversation tripartite menée par Charles Michel, le président du Conseil européen. Nous avons toujours été partisans d’un dialogue direct avec Nikol Pachinian. Ce qui est regrettable dans les événements récents, c’est que nous avons assisté à l’intervention de pays tiers dans ce dialogue, ce qui a fait dérailler le processus. Mais l’Azerbaïdjan a toujours été ouvert à ce dialogue. C’est aussi l’Azerbaïdjan qui insiste sur la signature d’un accord de paix, basé sur le droit international et sur les principes que nous offrons à l’Arménie, et que l’Arménie a verbalement acceptés.

Mais pourquoi alors ne pas avoir entamé ces pourparlers aujourd’hui à Grenade, en Espagne, comme cela était prévu à l’origine ?

Le président Ilham Aliev avait prévu de s’entretenir avec le Premier ministre Pachinian. Mais à Grenade, le format était tel que nous ne savions pas exactement à qui nous parlions. Allions-nous parler à l’Arménie, ou à la France ? Ce n’était pas très clair. En outre, malheureusement, les responsables français ont fait des déclarations inacceptables, tant en Arménie qu’à Paris. Et le projet de la France de commencer à armer l’Arménie, bien évidemment dirigé contre l’Azerbaïdjan, n’était pas vraiment propice aux pourparlers. C’est un élément malheureux qui a fait dérailler la conversation.

Cela signifie que vous ne voulez pas que la France participe à ces efforts de paix ?

L’effort de paix est déjà mené par l’Union européenne et la France fait partie de l’Union européenne. Nous ne comprenons pas pourquoi un autre pays est nécessaire. Nous voulions aussi, bien sûr, que le président turc Reccep Tayyip Erdogan puisse participer si le président français Emmanuel Macron participait. Mais cela n’a pas été possible. Permettez-moi de préciser la différence entre les deux pays. La France est très éloignée de notre région. Elle n’y a pas d’intérêt réel, sauf un lien émotionnel avec l’Arménie et un intérêt économique dans la mer Caspienne. La Turquie, elle, fait partie de notre région. La présence de la France n’avait aucun sens, car elle ne fait que des déclarations anti-azerbaïdjanaises, alors que nous voulons parler directement à l’Arménie. 

Vous avez mentionné que les pourparlers pourraient conduire à un accord de paix avec l’Arménie. Quelles seraient les conditions d’un tel accord ?

Nous espérons qu’il sera bientôt conclu. Le Premier ministre Nikol Pachinian a déclaré que nous en étions très proches, car les principales questions ont été plus ou moins discutées. Le président Ilham Aliev a déclaré à plusieurs reprises qu’il souhaitait signer l’accord avant la fin de l’année. Je pense que nous aurions pu voir des progrès à Grenade si la diplomatie française n’avait pas interféré, pour ne pas dire plus, dans cette affaire. Mais l’accord de paix est fondamental pour l’avenir de notre région. Je pense maintenant que le point le plus délicat entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a disparu, à savoir la présence de troupes arméniennes sur notre territoire. Puisque ces troupes ne sont plus là, je pense qu’un point de friction majeur a été supprimé.

Je conseille vivement à mes voisins arméniens de ne pas projeter leur propre comportement sur nous. C’est l’Arménie qui a occupé une partie de l’Azerbaïdjan pendant 30 ans. L’Arménie a occupé le territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan. Nous n’avons pas fait cela à l’Arménie. Je ne comprends donc pas d’où vient tout cela. Nous n’avons aucune revendication sur le territoire arménien. Nous n’avons pas l’intention et nous ne voulons pas prendre un territoire qui n’est pas internationalement reconnu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Nous espérons donc trouver très rapidement une solution diplomatique et signer un accord.

Suite à la fuite de dizaines de milliers d’Arméniens du Haut-Karabakh, en quelques jours seulement, les eurodéputés réunis à Strasbourg estiment que la situation actuelle « équivaut à une épuration ethnique ». Que répondez-vous à cette accusation très grave ?

Il s’agit d’une malheureuse manœuvre politique de la part du Parlement européen. L’Azerbaïdjan n’a jamais procédé à une épuration ethnique. Nous avons proposé à nos résidents arméniens de la région du Karabakh de rester. Bien sûr, la raison pour laquelle il y a eu une population 100% arménienne pendant 30 ans, c’est parce qu’eux-mêmes ont procédé à un nettoyage ethnique dans la région. L’Arménie a procédé à un nettoyage ethnique contre l’Azerbaïdjan dans les années 1990, c’est pourquoi tous les Azerbaïdjanais ont été expulsés. À l’époque, l’Union européenne n’a pas fait de déclarations fermes ! 

Mais pourquoi les habitants du Haut-Karabakh ont-ils fui si précipitamment, si ce n’est parce qu’ils étaient terrifiés ?

Il est évident que les gens ont vécu 30 ans de conflit. Bien sûr, ils sont nerveux et bien sûr, ils ont peur. Je comprends cela !  C’est pourquoi nous ne voulons pas faire ce que les Arméniens nous ont faits. Nous leur proposons de rester, nous les accueillons, nous leur disons que nous leur fournirons les services dont ils ont besoin. Mais nous comprenons que c’est émotionnel, que ce n’est pas facile. Je veux dire, pensez à un Arménien moyen du Karabakh : il est assis dans son village et tout ce qu’il entend, c’est qu’il va être tué. Comment se sentirait-il, comment agirait-il ? Bien sûr, c’est naturel, c’est triste et nous espérons voir la situation s’inverser d’une manière ou d’une autre, peut-être pas complètement, mais d’une manière ou d’une autre.

Pourtant, de nombreux dirigeants du Haut-Karabakh ont été arrêtés. Ce n’est donc pas une façon de montrer que les gens peuvent être en sécurité…

Je rejette fermement cette idée parce que vous ne pouvez pas comparer un habitant pacifique de la région du Haut-Karabakh avec des criminels de guerre. Les personnes qui ont été arrêtées et détenues figurent depuis longtemps sur la liste des personnes recherchées par l’Azerbaïdjan ! Je pense qu’il est très important de séparer les personnes qui sont des criminels, de celles qui n’ont rien à voir avec cela. Je vais maintenant vous donner un autre exemple : l’Azerbaïdjan a offert l’amnistie aux personnes qui ont combattu contre l’Azerbaïdjan, qui ont déposé les armes et qui n’ont pas commis de crimes de guerre directement ou qui ne les ont pas commandités. Vous avez pu constater qu’un nombre important d’Arméniens sont partis. Il est évident que beaucoup d’entre eux avaient combattu l’Azerbaïdjan, mais, après avoir déposé les armes, ils n’ont pas été détenus, ils ont été relâchés parce que l’Azerbaïdjan a tenu sa parole. Pour les dizaines de milliers d’Arméniens qui ont vécu là-bas, il n’y a donc aucun danger. Cependant, nous insisterons sur le fait que les personnes qui ont commis des crimes de guerre contre les nôtres devront répondre de leurs actes devant la justice.

L’Europe, ainsi que le Parlement, appellent maintenant à des sanctions contre les dirigeants azerbaïdjanais et disent qu’il pourrait y en avoir d’autres en cas d’agression contre le territoire arménien. Craignez-vous que les pays occidentaux prennent des sanctions contre l’Azerbaïdjan ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires occidentaux depuis longtemps et nous avons un partenariat solide avec l’Union européenne. Nos dirigeants ont mené la libération de notre territoire, dans les frontières internationalement reconnues. Cela ne peut pas être une cause de sanctions. L’Union européenne soutient l’intégrité territoriale de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie. Elle soutient militairement les efforts de l’Ukraine. Mais, lorsqu’il s’agit de l’Azerbaïdjan, il y a deux poids, deux mesures. Il est clair que ce n’est pas une approche juste ni cohérente. Mais ce n’est pas la chose la plus importante pour nous. Le plus important, c’est notre région, notre peuple et la manière dont nous allons vivre en paix avec nos voisins arméniens. C’est bien plus important que certaines décisions prises au loin.

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