Grossesse en entreprise: le calvaire des femmes en Côte d’Ivoire 

Mises à l’écart, parfois répudiées, les femmes en entreprises subissent assez de pressions, lorsqu’elles tombent enceintes. Une situation qu’elles perçoivent comme un frein à leur épanouissement professionnel.

Quelques mois après l’obtention du Brevet de Technicien Supérieur (BTS), en 2002, Françoise Kouadio (nom d’emprunt) obtient un stage dans une librairie de la place, dans la commune de Koumassi. Elle bondit sur l’occasion et s’y rend quotidiennement. Tout se passe bien pendant une année jusqu’à la fermeture de la librairie du fait de la crise ivoirienne, à l’époque. Elle stagne pendant quelques mois, avant d’être recrutée à nouveau. Cette fois dans une autre librairie. « Celui qui a ouvert la librairie était notre patron dans la première entreprise. Il m’a rappelée et m’avait proposé un salaire de 100 000 FCFA et plus. C’était pour moi une chose merveilleuse », se souvient-elle. En 2004, Françoise tombe enceinte. Elle informe sa hiérarchie et part en congé de maternité le moment venu, c’est-à-dire à six semaines et demie. La jeune dame venait ainsi de perdre son premier emploi, sans le moindre soupçon. Elle se rend compte de cela lorsqu’elle reçoit la visite de son patron. « Ce jour-là, il m’a clairement dit que je ne pouvais pas reprendre le service après l’accouchement parce qu’il comptait embaucher quelqu’un d’autre qui allait accomplir mes tâches. Il a aussi dit qu’il ne pouvait pas renvoyer cette personne après mon accouchement. Il ne pouvait pas accepter que je sois enceinte à moins d’un an de mon contrat. Pour lui, je devrais au moins attendre deux ans », raconte-t-elle.

Jeune mère sans emploi, Françoise finit par se retrouver aussi sans toit. L’oncle chez qui elle vivait lui a aussi demandé de rejoindre son homme, vu que sa nouvelle situation engendrait des charges supplémentaires à la maison. « J’ai ensuite loué une petite maison avec l’aide de mon compagnon à moins de six mois de l’accouchement. Je postulais pour un nouvel emploi, mais c’était difficile de joindre les deux bouts. C’est un fait marquant », se désole-t-elle. Françoise a maintes fois tenté d’entrer en possession de ses droits par l’entremise de l’inspection du travail. Mais très vite, elle abandonna l’idée, parce que victime de menace. « Si on me crée des problèmes à cause de toi, tu auras de mes nouvelles. Combien de personnes déclarent leurs employés à la Cnps ? Pour une petite et nouvelle entreprise je vous ai déclaré et en retour tu veux me créer des problèmes », l’avait interrogée fermement l’ex-patron qui l’a contactée au terme de la première comparution.

Si Françoise range ce fait parmi ses vieux souvenirs aujourd’hui, c’est bien parce qu’elle a pu intégrer la Fonction publique. « Combien sont ces femmes dans cette même situation qui n’ont toujours pas obtenu un nouvel emploi ? Imaginez ce qu’elles vivent jusqu’à ce jour. Ce souvenir ne peut jamais quitter l’esprit », avoue-t-elle.

Pour Mélanie Z, cheffe d’entreprise, la discrimination à l’égard des femmes dans les sociétés privées, surtout lorsqu’elles tombent enceintes, demeure une « triste réalité ». « Quand nous abordons le sujet entre patrons, les collègues sont unanimes sur le fait d’embaucher plus d’hommes que de femmes. Ils disent que les hommes sont stables et rapportent beaucoup plus aux entreprises. En tant que femme entrepreneure et cheffe d’entreprise, je comprends mes sœurs, mais aussi les chefs d’entreprises. On devrait réfléchir sérieusement sur la question et trouver des solutions », pense-t-elle.

La plupart des chefs d’entreprises optent pour un personnel majoritairement masculin pour la raison invoquée. Mais surtout à cause des réalités du pays. Selon Holi G., entrepreneur, « plusieurs entreprises naissent parce que le taux de chômage est élevé dans ce pays. Les taxes étant élevées, nous accumulons déjà des dettes. Il n’y a pas d’appui financier. Dans cette atmosphère, nous évoluons généralement avec le peu de moyens à nos dispositions. Du coup, il faut rentabiliser coûte que coûte, pour assurer les salaires. Sans vouloir nuire, on prend des mesures nécessaires pour survivre », explique-t-il.

Que dit la loi ?

Le code du travail ivoirien permet à la femme enceinte de bénéficier d’un statut juridique protecteur, associé à un certain nombre de prérogatives pendant sa période d’essai et notamment pendant l’exécution du contrat de travail. A en croire Jean-Marc Tapé, juriste, l’employeur ne doit pas résilier le contrat de travail, lorsque la femme salariée est en état de grossesse (article 23.7) oupendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit , qu’elle use ou non de ce droit.

Par ailleurs, la femme salariée enceinte a le droit de suspendre le contrat de travail pendant 14 semaines consécutives dont 6 semaines avant la date présumée de l’accouchement et 8 semaines après. Poursuivant, le juriste indique que la législation ivoirienne en matière de travail interdit tout refus d’embauche d’une femme salariée enceinte ainsi que toute forme de rupture du contrat de travail en période d’essai dont la cause est liée à l’état de grossesse de la femme salariée. La femme salariée enceinte victime d’une telle discrimination en Côte d’Ivoire devant le tribunal compétent (Tribunal du travail) peut se voir attribuer le droit au versement d’indemnités de réparation de dommages. Le licenciement d’une femme salariée pendant sa période de grossesse et au cours de ses congés de maternité est aussi interdit par la loi en Côte d’Ivoire.

En cas de refus d’annulation du licenciement prononcé durant le congé de maternité, la personne intéressée peut saisir le tribunal de travail. Si l’employeur refuse la réintégration dans l’entreprise, la femme salariée lésée aura droit au montant équivalent à la totalité des rémunérations que celle-ci aurait dû percevoir jusqu’au terme de son congé de maternité, et auxquelles s’ajoutent des indemnités de préavis, les indemnités de licenciement, de congés payés et les autres frais de réparations de dommages prévues par la convention collective interprofessionnelle.

« La loi n’autorise le licenciement d’une femme salariée enceinte qu’en cas de faute dont le motif n’est pas liée à son état de grossesse, également pour motif économique, notamment en cas de réorganisation de l’entreprise, de fermeture du lieu de travail », précise Jean-Marc Tapé.

Marina KOUAKOU ( le tamtamparleur, Côte d’Ivoire)

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