Après avoir semblé vouloir en terminer avec l’héritage francophone, le réchauffement des relations avec la France a relancé l’intérêt du Rwanda pour la langue française, avec de nouveaux programmes d’apprentissage et une nouvelle stratégie gouvernementale.
« Maître corbeau sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage », récite difficilement en français l’une des élèves du club francophone du Teacher Training Centre (TTT) de la ville de Muhanga, à l’ouest de la capitale Kigali. Sur l’estrade du large hall où sont réunis tous les apprenants de cette école publique, également centre de formation pour enseignants, les élèves en niveau secondaire du professeur sénégalais Mohamed Coly défilent pour réciter chansons, poèmes et débats, préparés en classe pour être présentés devant leurs camarades, dans un événement animé en trois langues : le français, l’anglais et la langue nationale, le kinyarwanda.
Le professeur, installé au Rwanda depuis 2022, fait partie de la cinquantaine de volontaires employés par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et répartis dans des établissements des différentes régions du pays pour développer l’apprentissage du français au Rwanda. Programme inédit, lancé en 2020 par l’institution dirigée par l’ancienne ministre des Affaires étrangères rwandaise Louise Mushikiwabo, l’objectif est de renforcer et d’accompagner les effectifs de professeurs de français du pays des Mille Collines.
À peine 6% de locuteurs francophones
« Nous partageons avec nos collègues rwandais les méthodes d’enseignement du FLE [français langue étrangère NDLR], plus adaptées au niveau des élèves que l’enseignement du français comme langue secondaire jusqu’ici utilisé, trop poussé pour la plupart des apprenants », détaille Mohamed Coly. Depuis l’abandon du français comme langue d’enseignement en 2008 au profit de l’anglais, et face à la prédominance du kinyarwanda, les locuteurs francophones au Rwanda se font rares. En 2018, l’OIF estimait que seuls 6% de la population nationale parlait français. « Comme très peu d’élèves ont des membres de leur famille avec qui ils peuvent pratiquer, c’est un handicap dans leur processus d’apprentissage », poursuit l’enseignant.
Une affirmation partagée par Védaste Ntibarikure, l’un des professeurs rwandais de français d’une école secondaire de Muhanga suivi par le volontaire de l’OIF. « Le grand défi, c’est que les élèves n’ont pas de bases. Ils nous disent qu’à l’école primaire, ils n’ont rien appris en français. Alors c’est difficile d’adapter les cours à leur niveau », regrette-t-il. Si plusieurs heures de français par semaine sont au programme dans les différentes années de primaire, de nombreuses lacunes sont observées à leur entrée en secondaire. « Certains professeurs ne maîtrisent pas bien la langue, alors c’est difficile d’enseigner la matière », justifie l’enseignant.
Réchauffement diplomatique
Depuis quelques années, de nouvelles mesures ont été mises en place pour renforcer l’apprentissage de la langue française dans le pays. En mai 2021, la visite du président français Emmanuel Macron au Rwanda marque le réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays, souligné par la reconnaissance du chef d’État de la « responsabilité accablante » de la France dans le génocide contre les Tutsis en 1994. Le Centre culturel francophone de Kigali est inauguré durant son séjour, sept ans après la fermeture de l’Institut français et la nomination de l’ambassadeur de France au Rwanda, Antoine Anfré, est validée par le conseil des ministres quelques semaines plus tard, six ans après le départ de son prédécesseur.
Moins d’un an plus tard, le 1er avril 2022, le ministère rwandais de l’Éducation lançait un plan national de développement de l’apprentissage du français. « C’est une volonté politique du gouvernement rwandais, également suite à la visite d’Emmanuel Macron », explique Johann Robinet, employé par Expertise France pour accompagner le ministère dans la mise en place de ce plan. Objectif principal : développer des tests de niveau et des formations par pallier pour les professeurs de français, dont le lancement est prévu en début d’année prochaine. « On espère que tous les enseignants à moyen terme pourront en bénéficier », affirme-t-il.
Un engagement renouvelé par les autorités rwandaises le 20 mars dernier pour la Journée internationale de la Francophonie.« Nous sommes fiers d’être membres de la communauté francophone et j’encourage tous les enseignants de français à développer et à moderniser leurs méthodes d’enseignement pour que cette langue soit parlée par la plupart de nos enfants et pour le développement économique du pays », affirmait la ministre de l’Éducation, Dr Valentine Uwamariya.
Pour le Rwanda, au carrefour entre l’Afrique francophone et anglophone, l’objectif est également de devenir un hub plurilinguistique, réunissant, en plus du français et de l’anglais, le swahili, parlé par plus de 200 millions de personnes, principalement en Afrique de l’Est et centrale. « Le mieux, c’est de commencer par les plus petits, à la racine. Maintenant, on a pris les cours en chemin, mais si c’était possible de commencer au primaire, dans un long processus, dans le durable, nous pourrions asseoir un changement qui serait consistant », conclut le volontaire Mohamed Coly.
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