Le président chinois entame, ce lundi 6 mai, sa première tournée en Europe depuis 2019 et la pandémie de Covid. D’abord à Paris, où il est arrivé ce dimanche en milieu d’après-midi, pour célébrer les 60 ans de l’amitié franco-chinoise. Xi Jinping se rendra ensuite en Serbie et en Hongrie.
À Paris, Belgrade et Budapest, Xi Jinping jouera sur du velours ou presque. Les dossiers qui fâchent ? Ils seront seulement évoqués à Paris, et en premier lieu le soutien chinois à la guerre russe en Ukraine. En revanche, à Belgrade et à Budapest, considérées par la Chine comme des portes d’entrée en Europe, aucune fausse note ne risque de plomber l’ambiance.
L’objectif de la venue du numéro un chinois est de faire oublier les tensions commerciales et géopolitiques avec les États-Unis et démontrer que la Chine a encore des alliés en Europe. La France, qui parmi les 27 membres de l’Union européenne, prône l’indépendance stratégique européenne face à la rivalité sino-américaine, est un pays de choix aux yeux de Pékin, avide de défaire le lien traditionnel transatlantique et de tirer bénéfice des divisions.
Commerce et Ukraine au menu à Paris
Alors que l’économie chinoise tourne au ralenti et que le pays du Milieu est visé par la Commission européenne dans cinq enquêtes pour concurrence déloyale, Xi Jinping sera en opération de déminage. « La France est un grand marché pour toutes les nouvelles technologies chinoises, des voitures électriques aux panneaux solaires, rappelle Alain Wang, sinologue et enseignant à l’École centrale Paris. Xi vient donc pour éviter que les portes se ferment pour les produits chinois. »
Pékin réfute les accusations de Bruxelles et crie au protectionnisme. À Paris, où la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, connue pour son franc-parler vis-à-vis du géant chinois, participera à un échange trilatéral, Xi Jinping ne manquera pas de donner de la voix. Sera-t-il entendu ? Rien n’est moins sûr. « Paris ne cache ni son soutien à la politique du « de-risking » de l’UE, ni sa crainte de voir les véhicules électriques chinois inonder le marché européen grâce à une compétitivité rendue possible par des pratiques déloyales », observe Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l’Ifri, dans une note. La France ne serait d’ailleurs pas à l’origine de l’enquête de l’UE sur les voitures électriques chinoises, et Pékin aurait donc à tort lancé en représailles une enquête contre les eaux-de-vie européennes, visant clairement le cognac français.
Un autre sujet sera tout en haut de l’agenda : la guerre en Ukraine, une priorité de la diplomatie française. Entre toasts et poignées de mains pour célébrer les 60 ans de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine populaire, le président français Emmanuel Macron compte presser son hôte de prendre ses distances avec la Russie. L’Élysée mise sur ses relations solides avec Pékin, « le seul acteur international qui dispose de leviers suffisants » auprès de Moscou. Comme le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken et le chancelier allemand Olaf Scholz lors de leurs récentes visites à Pékin, le président Macron tentera de dissuader Xi Jinping de livrer des armes à la Russie.
Mais la Chine n’a jamais officiellement condamné l’invasion russe en Ukraine et se considère comme un acteur neutre. Hors de question alors de rompre « l’amitié sans limites » nouée avec la Russie peu avant son invasion de l’Ukraine en 2022. La preuve : Xi Jinping attend Vladimir Poutine ce mois-ci à Pékin. Avec des relations économiques au beau fixe – le volume des échanges bilatéraux a augmenté de près de 30% en 2022, et la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine –, Pékin ne voit aucun intérêt à s’aliéner Moscou.
Belgrade et Budapest : des « pions » de la Chine en Europe
À Belgrade et Budapest, pays également proches de Moscou, l’ambiance s’annonce bien moins crispée. « L’importance de la Hongrie et de la Serbie est qu’ils sont des pions de la Chine, ils jouent à certains moments contre l’Europe et pour elle », affirme le sinologue Alain Wang.
À Belgrade, où le président serbe Aleksandar Vucic considère Xi Jinping comme « un ami indéfectible », ce dernier doit inaugurer le plus grand centre culturel chinois en Europe, à un endroit pour le moins symbolique : là, où l’Otan avait par erreur bombardé, le 7 mai 1999, l’ambassade de Chine lors de la guerre du Kosovo, tuant trois journalistes chinois. Commémorer le 25e anniversaire de ce bombardement peut se lire comme un message de Xi à l’Occident. « À l’époque, c’était une perte de face pour la Chine qui était alors plus faible sur le plan économique, militaire et politique, estime Alain Wang. Aujourd’hui, elle affirme sa fierté et se positionne comme une puissance mondiale, c’est symbolique. »
Le bombardement a par ailleurs nourri un sentiment anti-américain et contribué à pousser Pékin dans les bras de Moscou. Un sentiment partagé par la Serbie qui depuis est devenue un allié clé dans le projet cher à Xi Jinping : les « nouvelles routes de la soie ». La Chine y finance, parmi de nombreux autres projets d’investissement, la liaison ferroviaire Belgrade-Budapest à hauteur de deux milliards d’euros.
Dernière étape de la tournée de Xi Jinping : la Hongrie, partenaire privilégié de Pékin dans l’UE pour son côté illibéral et contestataire des institutions européennes. Le gouvernement de Viktor Orban mise, lui aussi, sur un alignement avec la Chine,lucratif et prometteur. BYD, le champion chinois de la voiture électrique, doit ouvrir dans le pays sa toute première usine européenne. La Hongrie compte aussi devenir le numéro 2 mondial des batteries au lithium, grâce à la Chine. Xi n’y entendra donc pas la moindre critique.
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