Destruction du barrage de Kakhovka: une catastrophe humanitaire et écologique

Une semaine après la destruction partielle du barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, les forces russes et ukrainiennes se rejettent toujours la responsabilité, mais s’accordent au moins sur un point : il s’agit d’une des pires catastrophes humanitaires et écologiques depuis le début du conflit.

Mardi 6 juin, 2h54 heure locale, l’institut de sismologie norvégien Norsar détecte une puissante « explosion » sur l’emplacement du barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka situé dans une zone sous contrôle russe dans le sud de l’Ukraine. D’après ce centre de recherche, le site n’a pas cédé du fait de dommages subis lors de bombardements au cours des mois précédents, comme l’affirme la Russie. « Nous sommes certains qu’il y a eu une explosion », déclare à l’AFP Ben Dando, un chef de section de Norsar.
 
En quelques heures, ce sont près de 600 km2 en aval du barrage de Kakhovka qui se retrouvent inondés. Une semaine après le drame, le ministère ukrainien de l’Intérieur évoque 77 localités envahies par les eaux, dont 14 se trouvent dans les territoires occupés. « La moitié de Kherson située sur la rive droite est encore sous l’eau et à certains endroits, l’eau monte jusqu’à 5 mètres, raconte Oleksiy Voronin, directeur de l’ONG Help People joint ce lundi par téléphone. « On s’attendait à ce que le niveau de l’eau baisse, mais cela va très, très lentement parce qu’il pleut beaucoup. »
 
Près de 4 000 évacuations côté ukrainien…
Sur la rive droite du Dniepr, contrôlée par les forces ukrainiennes, les sauveteurs s’activent depuis le mardi 6 juin pour venir en aide aux sinistrés. « On continue d’évacuer ceux qui sont encore bloqués dans leurs maisons à bord de nos bateaux, explique Oleskiy Voronin. Notre priorité, c’est de leur trouver des abris avec de la nourriture, des habits chauds. Le plus précieux, ajoute-t-il, c’est l’eau potable, parce que les canalisations ont été polluées par la propagation de produits chimiques, on distribue donc des tonnes de bouteilles d’eau ».
 
D’après les derniers chiffres publiés dimanche soir par le ministre ukrainien de l’Intérieur Igor Klymenko, 2 722 personnes, dont 205 enfants, ont été évacuées de la région méridionale de Kherson et 982 autres, dont 167 enfants, de la province voisine de Mykolaïv. Lundi, l’Ukraine fait état d’un bilan de dix morts et 41 disparus dans la région de Kherson, du fait des inondations.
 
…et 7 000 dans les zones sous contrôle russe
Sur l’autre rive du Dniepr, contrôlée par les forces russes, la situation est tout aussi préoccupante. Les responsables installés par Moscou font état cette semaine de plus de 7 000 personnes évacuées. Huit personnes sont mortes et 13 sont portées disparues.
 
Des millions de tonnes de récoltes menacées
Mais des deux côtés du Dniepr c’est bien l’agriculture qui risque de souffrir le plus avec des récoltes menacées pour plusieurs années. Selon le ministère ukrainien de l’Agriculture, 10 000 hectares de terres agricoles ont été inondées, et plusieurs millions de tonnes de récoltes pourraient être perdues. La zone touchée sur la rive gauche du fleuve, occupée par les Russes, est encore plus vaste.
 
Des mines et des engins explosifs charriés par le courant
« L’eau qui arrive du barrage emporte tout sur son passage, cela inclut les mines et les munitions non explosées qui étaient sur les bords du Dniepr, avertit de son côté Erik Tollefsen, responsable de l’unité Contamination par les armes au Comité International de la Croix Rouge (CICR). Je précise, et c’est important, que ce n’est pas parce qu’une mine est immergée qu’elle n’explose pas. Cela rend très risqué le travail des secouristes et met en danger les civils. »
 
Sur place, le CICR, présent des deux côtés du Dniepr communique avec les autorités locales pour sensibiliser la population : « utilisez par exemple des bateaux plutôt que des véhicules, ne marchez pas dans ces eaux boueuses ». « Lorsque l’eau se retirera des endroits où des gens vivent, se déplacent et cultivent leurs terres, ajoute Erik Tollefsen, ils vont être exposés à des zones contaminées par des mines terrestres et des munitions non explosées. Nous sommes prêts à travailler de nouveau avec les acteurs locaux pour cartographier cette nouvelle contamination. »  
 
Menace sur la centrale nucléaire de Zaporijija
Si les régions en aval du barrage subissent les inondations, en amont, le niveau d’eau a lui à l’inverse chuté. De quoi menacer la centrale nucléaire de Zaporijjia, occupée par les Russes, et dont les réacteurs sont refroidis par des réservoirs d’eau. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) écarte un risque pour la centrale « à court terme ». Ce mardi, le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Rafael Grossi doit se rendre sur le site de la centrale « pour évaluer la situation et organiser une nouvelle rotation d’experts ».
 
Une catastrophe écologique
Les conséquences se font aussi ressentir sur les écosystèmes. La réserve naturelle de Kakhovka, qui recouvre plus de 2 000 km2 et s’étend sur trois oblasts de l’Ukraine, est impactée pour des années. « Des poissons sont morts d’asphixie, d’autres poissons d’eau douce vont finir dans l’eau salée de la Mer noire et mourir, rapporte Kateryna Filiuta chercheuse à l’UNCG, le groupe ukrainien de protection de la nature. En aval du barrage, 11 zones naturelles sont menacées de désertification. À l’inverse, en aval, 47 zones protégées ont été inondées. On estime par exemple que 70% de la population mondiale de souris de Nordmann qui étaient là se sont retrouvées sous l’eau. Cela peut entrainer l’extinction de l’espèce à l’avenir ». Le même constat est partagé côté russe. Dans un journal moscovite proche du Kremlin, l’expert Sergueï Mouhametov, relayé ici par Courrier International pointe les risques sanitaires. « Il est possible que le choléra se propage en premier, car son embryon se sent très bien dans l’eau, tout comme E. coli. À mesure que la température de l’eau augmente, les bactéries se multiplient de manière spectaculaire. À une température de 24 à 25 °C, la multiplication des bactéries pathogènes atteindra son pic ».

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