Cameroun: un an après sa mort, Martinez Zogo laisse un grand vide et l’enquête piétine

« Martinez » était connu à Yaoundé pour son ton corosif et ses dénonciations virulentes, parfois outrageantes, de personnalités publiques qu’il accusait d’incompétence ou de détournements. Un an après, RFI a rencontré ses collègues à Yaoundé, une rédaction et une famille endeuillées, traumatisée et en quête de justice.

Quartier Elig Essono, Carrefour Ceper. À l’entrée de la ruelle qui mène à la radio Amplitudes, le rédacteur en chef Charlie Tchouemou observe le fameux portrait de Martinez Zogo, celui qui est apparu partout après sa mort. Costume bleu, coupe afro, doigt sur la bouche, comme pour dire « taisez-vous ». « Il disait toujours aux gens de se taire, c’est lui qui parle parce que c’est lui qui marche sur la cité-capitale ! Dire tout haut ce que les gens pensent tout bas », dit ce proche à notre envoyée spéciale à Yaoundé, Amélie Tulet.

« Depuis quelques jours, il y a ce traumatisme-là qui revient »

À 9h30 le matin, sur 103.3 FM à Yaoundé, c’est toujours Embouteillages. Nouveau format, nouveau présentateur : Thierry Valère. « Vous savez, Martinez est parti d’une façon effroyable. Il fallait le mental pour continuer l’émission », dit-il d’une voix terne.

Derrière la vitre, le réalisateur Gaombalet Jean-Noel Le Grand continue de diffuser des extraits de Martinez Zogo : « Quand je mets les extraits comme ça, je sens sa présence, même quand je mets ça comme ça, j’ai les chairs de poule, j’ai les chairs, de poule, vraiment ça me fait mal. »

Avant d’être enlevé le 17 janvier 2023, Martinez Zogo était venu travailler. Yannick Yamedjeu Njiki, l’un de ses collègues, tente d’expliquer son ressenti : « Depuis quelques jours, il y a ce traumatisme-là qui revient, comme au lendemain de son assassinat, de savoir qu’un proche a subi de telles tortures. Vous essayez un peu de vous mettre à sa place, qu’est-ce qu’il a pu dire, qu’est-ce qu’il a vécu… Des choses comme ça et qui parfois vous font sursauter… »

Sur le sol dans l’entrée, devant une photo de Martinez, des centaines de bougies fondues ont laissé un épais socle de cire durcie. Un registre recueille les message de soutiens. « Les mots semblent insuffisants pour exprimer les tourments émotionnels qui nous habitent encore, confie Flore Zogo, soeur utérine de Martinez. Cette épreuve est d’une difficulté incommensurable. Les gens ne peuvent pas imaginer à quel niveau nous avons mal. »

Un nouveau juge pour relancer l’enquête

Enlevé le 17 janvier, dans la soirée à Yaoundé, le célèbre animateur de l’émission radio Embouteillages est retrouvé quelques jours plus tard (le 22 janvier). Son corps, abandonné nu sur un terrain à 25 km environ de la capitale, portait des traces de sévices. Sa mort et les images de son corps choquent alors profondément les Camerounais. L’affaire a suscité des réactions au-delà des frontières et a pris très vite une tournure hautement sensible, rappelle notre correspondant à Yaoundé, Polycarpe Essomba.

L’enquête est toujours en cours, un an après, au niveau du Tribunal militaire de Yaoundé. Une vingtaine de personnes sont mises en examen dont des agents de la DGRE (les services de renseignements) et un homme d’affaires. Le corps de Martinez Zogo, lui, est toujours à la morgue, sous scellés. 

Ces dernières semaines, un nouveau juge d’instruction, le troisième en date, a été nommé. Sa feuille de route : relancer  l’information judiciaire. Mieux : la conclure. Ce juge d’instruction c’est le colonel Pierrot Narcisse Ndzie. Et on peut dire qu’il a démarré pieds au plancher. Le 19 décembre 2023, jour même de sa prise de fonction, il a convoqué et auditionné pendant de longues heures, un élu municipal, le maire de la commune de Bibey, Martin Stéphane Savom. Le soir après cette audition, il a placé ce suspect en détention à la prison principale de Yaoundé où il a rejoint la vingtaine de personnes précédemment inculpées dans cette affaire. Motif de l’inculpation : complicité de torture.

La piste avait été amorcée par le précédent juge d’instruction, Aimé Florent Sikati 2 Kwamo. Celui-ci a depuis été mis sur la touche après l’imbroglio consécutif à l’ordonnance de libération de deux des principaux accusés, l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et l’ancien patron des services de renseignements camerounais, Léopold Maxime Eko Eko.

Cette ordonnance signée le 1er décembre et présentée quelques heures après comme un faux document, n’a finalement pas été exécutée et fait toujours l’objet selon des sources proches du dossier, d’une enquête interne instruite par le ministre de la Défense au sein du tribunal militaire de Yaoundé. Le juge Ndzie ne s’en est pas tenu à ce seul fait. Il a conduit de nouvelles auditions et confrontations des suspects déjà inculpés.

La requalification des chefs d’accusation en assassinat, réclamée notamment par les avocats des ayants droits de Martinez Zogo, n’est toujours pas intervenue. Tous les prévenus restent poursuivis pour « torture », « complicité de torture par aide » et « non respect des consignes ». Selon des sources proches de l’enquête, les membres du commando ayant procédé à l’enlèvement de Martinez ont reconnu avoir participé aux actes de tortures sur le journaliste et déclaré l’avoir laissé vivant après leur forfait. « Aujoud’hui, on nous parle de torture et de complicité de torture. Or nous avons un individu qui est décédé. Les membres du commando ont reconnu avoir porté des sévices à son encontre. Il faudrait que l’infraction sur laquelle on mène l’instruction corresponde aux actes qui ont été posés, à savoir l’enlèvement, séquestration, torture et assassinat », insiste Maître Calvin Job, l’un des avocats de la famille. Il « revendique la possibilité d’avoir accès au dossier et la réponse à nos demandes de requalification, d’expertise et d’audition ».

Les suspects restent par contre évasifs et avancent des versions contradictoires sur l’identité du ou des commanditaires. Cela ne rassure pas les proches : « notre principale inquiétude, c’est de ne pas savoir qui a commandité et qui est l’auteur de l’assassinat horrible de Martinez Zogo », admet le conseil des victimes.

« Au sujet de cet assassinat odieux et crapuleux, il est troublant et douloureux de constater que malgré une année, l’enquête semble encore piétiner, sans progrès significatif vers la justice, laissant notre famille dans un état d’angoisse et de désespoir continus », se désole Flore Zogo. Elle garde toutefois espoir : « Voir les responsables jugés nous apporterait du soulagement et de la paix. Mais cela permettrait aussi qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de Martinez Zogo, il s’agit aussi des droits de l’homme. »

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