Human Rights Watch accuse dans un rapport rendu public mercredi 15 février à Maurice, le Royaume-Uni de « crime contre l’humanité » pour le sort qu’elle avait réservé à la population de l’archipel des Chagos, expulsés de 1965 à 1973 à Maurice et aux Seychelles pour pouvoir entretenir la demande américaine d’installation d’une base à Diego Garcia, la principale île des Chagos.
L’organisation américaine de défense des droits humains, basé à New York, soutient que trois crimes contre l’humanité ont été commis contre les Chagossiens par les autorités britanniques : « déportation ou transfert forcé de population », « d’autres actes inhumains qui peuvent inclure l’interdiction faite à la population de rentrer chez elle » et « la persécution pour des motifs d’ordre racial, ethnique ou autre. »
Dans un rapport de 116 pages intitulé « C’est là que le cauchemar a commencé », HRW est d’avis qu’au moins un de ces « crimes », soit l’expulsion de la population autochtone des Chagos, a été commis conjointement par les autorités britanniques et américaines.
« Durant nos recherches qui ont duré presque un an, nous avons interviewé des Chagossiens à Maurice, aux Seychelles et à Londres. Nous avons recherché les documents historiques. Mais vous savez le travail d’investigation et de documentation n’arrête jamais », explique à RFI Mausi Segun, directrice de la division Afrique de HRW.
Le rapport de HRW documente l’expulsion d’une population de 1 500 Chagossiens, tous d’anciens esclaves africains et malgaches qui travaillaient dans les plantations de noix coco de la colonie française puis anglaise. HRW accuse le Royaume-Uni d’avoir menti aux Nations unies en déclarant que les îles étaient inhabitées. « La réalité est qu’une communauté vivait dans les Chagos depuis des siècles », insiste HRW.
Un archipel stratégique du point de vue militaire
L’archipel des Chagos est constitué de 55 îles, dont trois étaient habités, Diego Garcia, Peros Bahnos et Salomon. Sa localisation, au cœur de l’océan Indien, à presque équidistance entre l’Afrique et l’Indonésie, le rend hautement stratégique d’un point de vue militaire.
« Il y a près de 60 ans, le gouvernement britannique a secrètement planifié, avec les États-Unis, de forcer tout un peuple autochtone, les Chagossiens à quitter son foyer dans l’archipel des Chagos. Les gouvernements états-unien et britannique se sont entendus pour construire une base militaire sur Diego Garcia, la plus grande et plus peuplée des îles de l’archipel des Chagos de Maurice, créant ainsi une nouvelle colonie en Afrique sous le nom de Territoire britannique de l’océan Indien », documente HRW.
De 1965 à 1973, par petits groupes, les habitants ont été expulsés par voie maritime à Maurice principalement et aux Seychelles. Depuis, les Chagossiens en exil à Maurice notamment luttent sur les tous les fronts pour réclamer leur retour dans l’archipel. La prise de position du HRW offre une nouvelle visibilité à leur cause. « C’est un puissant rapport de Human Rights Watch. C’est une nouvelle motivation pour nous dans notre lutte pour faire valoir notre droit de retour sur nos terres. Nous utiliserons désormais ce rapport pour appuyer nos revendications », annonce Olivier Bancoult, le leader du Groupe Réfugiés Chagos.
Ce groupe estime la population chagossienne aujourd’hui à plus de 10 000 et évalue à 350 natifs de l’archipel qui sont toujours en vie.
« Je suis né à Diego Garcia, je veux retourner à Diego Garcia »
Roger Alexis, né en 1955 aux Chagos, a été expulsé à l’âge de 12 ans. À 68 ans et après avoir vécu toute sa vie à Pointe aux Sables à Maurice, il nourrit l’espoir de pouvoir rentrer chez lui. « Je suis né à Diego Garcia et je veux retourner à Diego Garcia, même s’il y a une base militaire là-bas. Il y a de la place pour notre relogement. Pourquoi ailleurs les habitants et les militaires peuvent cohabiter ? Pourquoi d’autres nationalités peuvent cohabiter avec les Américains ? Mais pas les Chagossiens sur leur terre », s’interroge le natif des Chagos.
HRW appelle les gouvernements britannique et américain à réparer les torts causés au peuple chagossien. Il plaide d’abord, le retour immédiat et permanent des Chagossiens sur les îles Chagos. Il insiste ensuite pour une réparation financière et le plein soutien du Royaume-Uni et les États-Unis en vue de réhabiliter les îles et permettre aux Chagossiens de revenir et de travailler dans l’archipel.
« Jusqu’à ce jour, le Royaume-Uni et les États-Unis privent les Chagossiens de ce droit dont a besoin tout être humain. Nous demandons à ses deux gouvernements de permettre leur retour immédiat, qu’il y a une compensation financière, qu’il y ait une restitution des îles, et qu’il y ait aussi des assurances de non-répétition de ses crimes envers le peuple chagossien », insiste Bruno Stagno, chef de plaidoyer mondial de HRW.
Le Groupe Réfugiés Chagos ainsi que HRW n’appellent pas au démantèlement de la base militaire de Diego Garcia, mais insistent pour que « les violations des droits humains » cessent sur le sol.
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