RFI : On vous reçoit aujourd’hui pour parler d’une bande dessinée que vous venez de faire paraître avec votre camarade de dessin, qui s’appelle Thierry Chavant. Le titre, c’est Wagner, l’histoire secrète des mercenaires de Poutine. C’est ce dont on va parler, bien sûr. Mais tout d’abord, expliquez-nous pourquoi vous avez choisi le support de la bande dessinée, c’était pour rendre les choses plus pédagogiques, plus accessibles ?
Mathieu Olivier : Oui, il y a un intérêt à toucher un public qui est plus grand sur des affaires africaines, qui n’attirent pas forcément beaucoup le regard à la base. Donc, nous, étant journalistes à Jeune Afrique, on a l’habitude de s’adresser à des spécialistes. Là, c’était l’occasion de parler de la Centrafrique, du Cameroun, du Mali à un public beaucoup plus large. Et puis, nous, on est des lecteurs de bande dessinée et de bande dessinée d’investigation. Donc ça, ça nous a paru assez vite, très logique.
Donc, le groupe Wagner a une histoire pas si secrète que ça, puisque vous en parlez régulièrement dans les pages de Jeune Afrique, bien sûr. Et vous établissez une chronologie de l’évolution du groupe, d’abord, évidemment, en Ukraine et en Europe, mais surtout très rapidement en Afrique. La première expérience en Afrique, c’était où ?
M.O. : La première grosse expérience, c’est au Soudan et surtout en Centrafrique, ensuite. C’est pour ça qu’on a appelé ça, nous, le laboratoire centrafricain. On s’est rendu compte que Wagner testait finalement tout son système, c’est-à-dire son offre de sécurité au président Touadéra, c’est son système d’entreprise dans le bois, dans l’or… Enfin, voilà, c’est devenu très tentaculaire, donc en fait, ce système mafieux qu’on a voulu raconter tout au long de la BD, il s’est mis en place en Centrafrique et ensuite, il est venu s’exporter au Mali. Voilà, on a vraiment voulu montrer cette première expérience centrafricaine qui, en plus, vient dans un contexte de sentiments anti-français où on a vu le recul de la diplomatie française, des intérêts des entreprises françaises. Ce jeu de propagande entre Moscou et Paris, c’est tout ça que raconte finalement Wagner et Evgueni Prigojine en Afrique, quoi.
Ce qui est assez marquant d’ailleurs, dans la bande dessinée, puisque vous en parlez, c’est la sorte de candeur ou d’innocence du ministère des Affaires étrangères français quand il voit arriver Wagner en Centrafrique et puis ensuite au Mali. Les ambassadeurs, les relais français en Afrique émettent des alertes et finalement, on prend ça un peu par-dessous la jambe ?
Benjamin Roger : C’est aussi un peu ce qu’on raconte dans ce livre et dans cette BD. C’est d’abord le succès assez fulgurant finalement, en quelques années, des Russes à travers Wagner en Afrique. Et en creux, c’est aussi évidemment l’échec des autorités françaises depuis plusieurs années qui n’ont pas vu ou qui n’ont pas voulu voir et qui, petit à petit, des signaux s’amoncelaient de la Centrafrique jusqu’au Mali. Et aujourd’hui, il y a le Burkina Faso, maintenant, il y a le Niger. Tout au long de ces années, il y a eu plusieurs signaux. Alors les Français ont fini par voir, par comprendre, mais toujours avec un train de retard.
Sur le modèle économique, puisque Wagner en Afrique est un business model, il y a la façon de se rémunérer. Donc, c’est de l’or bien sûr, on en a parlé, du café, de la brasserie, tout un tas d’activités en Afrique. Ce qu’on sait moins, c’est qu’une fois que ces ressources sont exploitées, elles transitent par Douala ou par Dubaï. Ça, c’est quelque chose dont on parle un petit peu moins.
BR : Wagner, est évidemment connu comme un groupe de mercenaires, mais en fait, c’est bien plus que ça. C’est une énorme nébuleuse de différentes sociétés, dans différents domaines, et notamment des sociétés écrans. Il y a un modèle de prédation, clairement, où on va aller se servir directement sur la bête, entre guillemets. Par exemple dans les mines en Centrafrique, c’est ce qu’ils essayent de faire au Mali en ce moment, ils sont là avec l’orpaillage artisanal. Au Soudan, pareil, c’était dans des mines. On voit les différents secteurs et business dans lesquels ils sont, après ce qui est très difficile : c’est à chiffrer. Concrètement, combien de kilos de tonnes d’or ont-ils réussi à sortir en 2023 de Centrafrique, du Mali, et qu’est-ce que ça représente concrètement en argent ? Alors, il y a eu deux, trois études, des rapports faits par des organismes internationaux, des ONG, mais ce sont des estimations, c’est très difficile à chiffrer, mais on parle là de plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars.
Prigojine est décédé. Wagner s’appelle désormais Africa Corps. Est-ce que cela veut dire que vous préparez un deuxième volume de votre BD ?
MO : Il pourrait y en avoir un. Effectivement, c’est ça qui est assez extraordinaire, c’est-à-dire que Wagner n’a pas disparu. Les hommes de Wagner et les hommes qui étaient les hommes de Prigojine sont pour la plupart toujours en poste avec une tutelle plus importante du renseignement militaire russe. Donc, c’est une reprise en main depuis la mort de Prigojine, de la part du Kremlin et du ministère de la Défense russe. Mais les activités demeurent, que ce soit en Centrafrique, on voit que, malgré quelques tentatives du côté des Américains de venir gêner les activités Russes à Bangui, les héritiers de Wagner sont toujours omniprésents autour de Faustin-Archange Touadéra. Au Mali, on voit qu’ils sont toujours omniprésents autour d’Assimi Goita. Leur influence est de plus en plus importante au Burkina Faso. C’est ce qu’on voulait aussi raconter, en fait. En racontant Wagner, on racontait pourquoi Wagner allait survivre à Evgueni Prigojine, c’est-à-dire Evgueni Prigojine meurt, l’intérêt Wagner demeure.
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